Petite, mes grands-parents m’emmenaient vagabonder en caravane depuis notre Haute-Savoie natale, ne dépassant jamais le Rhône pour rester prudemment dans les frontières invisibles de la terre chantante et montagneuse des Alpes.
Pendant longtemps, mon univers s’est résumé aux montagnes et aux cigales, aux cimes enneigées et à la lumière dorée du midi. Pour moi, la France avait le goût du fromage et du miel de lavande, c’était des chalets aux toits en croupe et des tuiles dorées, c’était le mont Ventoux et la Dent d’Oche.
Pendant longtemps, la France s’est limitée à mes Alpes, hautes, préalpes, toit de l’Europe ou alpilles. J’étais attirée par l’étranger, l’Italie, l’Europe, le grand ailleurs qui est notre monde, refusant de me tourner vers la France que je gardais pour ma retraite – elle voyait loin, la petite ! Plutôt par snobisme parce qu’aller en vacances en France, c’était pour les ploucs et que dire que j’étais partie à Hong Kong ou en Islande, c’était tellement plus chic à la rentrée, aveugle au fait que tant de personnes ne peuvent tout simplement pas partir – complètement bêcheuse, la gamine.
J’ai un peu élargi mon esprit en même temps que mes horizons, depuis (une effet salutaire du voyage) mais le mal est fait : je connais relativement bien le quart sud-est de la France, tandis que le reste du pays me fait cruellement défaut, au point même de ne pas franchement me sentir en France dès que je dépasse Lyon ou Montpellier si d’aventure je m’aventure à l’ouest.
L’Île d’Yeu, avec ses maisons blanches, ses landes, ses criques, a été pour moi un tourbillon de sensations, un dépaysement inattendu, lors de l’un de mes premiers voyages hors de « ma » France… à 29 ans. Il était temps.
Invités par des amis, nous avons passé une petite semaine sur l’Île d’Yeu en 2013, ébahis devant cette ambiance marine qu’on croyait réservée aux magazines, à la côte est des États-Unis. J’en ai perdu mes repères. Les maisons blanches, ce n’est pas en Grèce normalement ? Et les criques transparentes, en Croatie ? Que dire de ces landes toutes gaéliques ? J’en perdais mon latin et j’ai trouvé l’île d’Yeu.
Le dépaysement commence dès le premier coup d’œil à une carte de l’île : Grands Vilains des Vieilles, Les Chiens Perrins, Les Riponseresses, Chemin du Puits des Suisses… Plage des Ovaires. L’île semble se délecter de noms si français et pourtant si uniques qu’ils ne peuvent que donner envie d’en savoir plus et d’aller à la découverte des chemins de traverse.
Et il y en a, des chemins, des sentiers, des ruelles, tous aussi secrets les uns que les autres, où l’on se régale à se perdre, car sur une île, le nord n’est jamais très loin. Le meilleur moyen pour filer doux, c’est le vélo, garant de la langueur toute insulaire. On y croise aussi nombre de Méhari ou 2CV d’époque, amenées par les Islais d’origine ou d’adoption pour un dernier voyage sur l’île, leur offrant à elles aussi une retraite dorée.
Depuis Fromentine, notre premier contact avec l’île est au village de Port Joinville. Maisonnettes blanches aux volets bleus, bateaux, restaurants de poissons et fruits de mer, Parisiens en marinière, tout y est. Le charme atlantique commence à opérer, on se prend à vouloir manger des moules, à savourer les embruns en terrasse.
Port Joinville, sympathique porte d’entrée sur l’île d’Yeu
L’île ne fait qu’une dizaine de kilomètres de long, configuration idéale pour rayonner un peu partout. Ici, des bateaux en cale sèche attendant avec langueur que la marée viennent les réveiller. Là, la chaleur d’une plage paradisiaque en plein soleil nous fait oublier momentanément que le vent de l’Atlantique étrille légèrement les chairs à nu et que seuls les plus assoiffés de sel marin iront se baigner. J’ai préféré apprécier la couleur de l’eau sans tenter de m’y frotter, bien installée sur le moelleux du sable.
Les petits villages sont proprets, blancs, grecs, méditerranéens. Les fleurs tranchent sur les murs aveuglants et on se demande ce qui se cache derrière ces hauts murs. De la fraîcheur et de la douceur de vivre, sans doute. Les rencontres insolites ne sont pas en reste : entre les cyclistes essoufflés, les voitures d’époque et des mariés dans un petit train suivis de la noce endimanchée à vélo, les surprises sont à tous les coins de rue.
Prenant nos vélos à notre cou, nous sommes allés taquiner le Vieux-Château, forteresse médiévale érigée au XIVe siècle et parfaitement incongrue avec ses murs imprenables et son air ténébreux dans cette île de délicates maisons blanches. Sous le soleil doré, la lande prend des allures d’Irlande. Les ombres se prolongent, entraînant avec elle la douceur de l’instant. Pourquoi rentrer quand on pourrait rouler jusqu’au soleil couchant ?
Sous l’heure dorée, le Port de la Meule offre des contrastes qui feraient plaisir à un peintre, mousse orange sur eau indigo, un rêve de photographe. On découvre une injonction féroce qui nous intime de nous abstenir de consommer de la tapenade (c’est bien contrariant, d’ailleurs), signe que nous ne sommes pas dans le midi, ici, doryphores ! Ici, c’est l’Atlantique, l’esprit des pirates, la force de caractère burinée par les vents et les rillettes de thon. Prenez garde aux représailles. On pourrait vous forcer à ingérer des moules.
On ne plaisante pas avec la tapenade, ici.
Le plus bel endroit de l’île d’Yeu…
De l’autre côté de l’île, je suis à nouveau bousculée dans mes certitudes : ce phare dans ses atours rouge et blanc, le phare des corbeaux, ne serait-il pas un pur phare canadien ? Avec le recul, pas vraiment, mais la ressemblance était alors troublante. Le relief est déchiqueté, les vagues semblent soudain déchaînées malgré la quiétude de la fin de l’après-midi. Toutes mes aventures ont-elles eu lieu à l’heure dorée ? Oui ! C’était l’une de mes premières expériences de nomadisme numérique, qui implique de travailler la journée en terrasse pendant que les amis partent à la plage. Plus dure la vie…
À l’ouest, la grande plage n’est guère plus chaude que qu’un lac de montagne et rares sont les baigneurs. Mais si on vient pour le grand bleu, on reste surtout pour la beauté des lieux, les plantes duveteuses, les pins, les dunes. La partie sud de l’île est interdite de construction et dégage un charme intact, une certaine mystique qui rappelle que l’île a d’abord été un lieu de culte avant d’être peuplée de manière permanente.
La semaine terminée, c’est avec un pincement au cœur que nous sommes partis de Vendée pour retourner à Lyon. Nos amis ont choisi de s’éprendre d’une bien belle île.
Très jolie comme endroit! Je ne connaissais pas du tout! 🙂
Si nos amis n’avaient pas un pied-à-terre là-bas, je crois que je n’en aurais jamais entendu parler. L’île est toute petite et bien moins touristique que ses copines l’Île d’Oléron et l’Île de Ré.
Très jolie région !
Une belle découverte !