Je ne pense connaître personne dont son image publique et son image intime soient en parfaite adéquation. Par image publique, j’entends la façon dont les autres voient cette personnes ; l’admiration, l’inspiration, ou sinon la pitié ou le mépris que cette personne suscite. Par image intime, j’entends la vision que l’on se fait de nous-même, cette image déformée par le prisme de nos angoisses, de notre syndrome de l’imposteur peut-être, de notre ego ou notre orgueil.
Je ne vais pas disserter sur l’inadéquation entre ces deux images de moi de manière exhaustive, ce serait aussi impossible que rébarbatif. Je vous laisse vous faire votre propre idée, c’est bien plus drôle – quant à l’image que je me fais de moi, je la garde bien au chaud… hormis un point, que j’aimerais partager avec vous aujourd’hui.
« Mais toi Audrey, tu voyages seule, tu n’as peur de rien »
« Waouh, tu es allée au Maroc/Guatemala/Liban, tu ne crains rien »
« Tu as tellement de courage, d’être allée en Russie toute seule »
Continuer les citations serait une insulte à votre intelligence, vous aurez compris le propos : le fait de voyager seule semble susciter une certaine admiration devant mon courage, devant le fait que je n’ai peur de rien, et surtout pas peur en voyage.
Mais j’ai peur tout le temps, vous savez. C’est là où ça devient comique.
J’en ai fait dans mon froc avant de partir au Liban. J’en avais peur à vomir, avant d’embarquer dans le train pour Moscou. J’avais les genoux en castagnettes, avant d’aller au Mexique. J’ai toujours dix mille interrogations, avant de partir en road-trip.
J’ai peur de prendre l’avion, je commence à stresser deux semaines avant, je n’en dors pas la veille. J’ai horreur de vols de nuit qui me terrifient. Pour le Guatemala, j’ai pris un vol à une heure très avancée de la nuit – je me souviens de l’attente le cœur au bord des lèvres chez l’amie qui m’hébergeait, alors que toutes mes peurs primales, réveillées à la faveur de cette nuit ancestrale où hurlaient les loups et cognaient les tambours de l’angoisse.
J’ai peur de me faire agresser parce que je suis une femme seule, et qu’être une femme reste un motif valable d’agression chez les plus arriérés des habitants de cette planète, qu’ils vivent à Antigua Guatemala ou Paris, ceux qui se croient au-dessus de la moitié de la population et en profitent honteusement.
Par exemple là, c’est le genre d’endroit où je ne suis pas à l’aise seule (marché, Antigua).
J’ai peur de me faire détrousser, de me faire arnaquer, de ne pas réussir à communiquer, de ne pas savoir me débrouiller, de rater mon train, de rater mon avion, d’avoir la tourista, de perdre mon passeport, mon chien, mon mari, de crever un pneu, de me faire enlever la voiture par la fourrière, que la batterie de secours de mon van explose, de tomber en rade avec mon van. Je ne le laisse pas forcément voir. Si on a déjà voyagé ensemble, tu n’as peut-être pas eu l’impression que j’étais une boule de stress (sauf en avion, mais là j’atteins mes limites !). Je n’ai pas toujours toutes ces peurs en même temps, ce serait invivable. Mais selon les voyages, j’ai toujours deux-trois angoisses à quelques centimètres de la surface, qui attendent leur heure.
Je suis un terreau fertile à toutes ces personnes qui, croyant te mettre en garde, ne manquent pas une occasion de raconter l’histoire d’horreur « du cousin du voisin à ma grand-mère qui s’est fait courser par des voyous armés de pioches dans le métro de Moscou » [NB aucun problème à Moscou]. Ou ces gens de mauvais esprit, qui trouvent drôle de te rappeler que « le Guatemala, c’est quand même un des pays les plus dangereux d’Amérique du sud » [NB aucun problème au Guatemala].
[APARTÉ ces remarques ne servent à rien. Oiseaux de mauvais augure, nous n’avons pas envie de connaître ce genre de détails qui ne servent que deux choses, raconter une anecdote rigolote ou vous donner une joie mauvaise, mais ne nous aident pas]
Pourtant c’est joli et sûr, Moscou.
Je suis une trouillarde, à mille lieux des portraits de baroudeuse à la Lara Croft qu’Instagram aime bien nous vendre. Ça existe sans doute, les femmes qui ne se posent vraiment aucune question, qui foncent, qui se lancent et ne doutent pas. C’est vraiment chouette pour elles.
Mais ce n’est pas moi. Moi, je suis du genre trouillarde.
Et pourtant, je voyage. Je voyage seule. Je voyage seule dans des pays pas forcément faciles.
N’avoir peur de rien, c’est une chose. Ne reculer devant rien, c’en est une autre.
J’ai la trouille, je tremble à chaque voyage, mais j’y vais quand même.
Parce que c’est ça le plus important, dans l’histoire. Parce qu’être Lara Croft ou Indiana Jones, c’est bien, mais ils ne doivent pas avoir beaucoup d’occasion de grandir, Lara ou Indy, s’ils ne surmontent jamais d’obstacles ? S’ils ne savent pas quelles sont leurs limites ?
S’ils ne savent pas qu’ils peuvent survivre à un séjour dans un pays dont ils ne maîtrisent pas du tout la langue (Shaolin, Chine)
À chaque voyage, je dépasse ma peur. Je ne suis pas non plus une boule de stress en permanence, non, parce que chaque voyage m’apporte son lot de réponses rassurantes à mes doutes. Je vois bien que je ne me suis jamais faite piquer mes sous, et que finalement, je n’ai jamais écrasé personne en voiture de location. Ça arrivera sans doute (le pickpocket, pas l’accident fatal en voiture).
À chaque voyage, je grandis un peu. Cela prend du temps, mais je découvre mes limites. Voyager seule pendant deux mois : pas de souci. Aller danser avec un groupe d’inconnus ? Pas pour moi. Prendre un vol long courrier ? Allez, on le fait. Prendre un vol dans un micro-avion de dix places au Népal ? Jamais de la vie !
L’important, c’est de dépasser ma peur. Elle fait partie intégrante du voyage. Parce que c’est quand je dépasse ma peur en voyage que j’ai l’impression de commencer à vivre réellement. Alors tant pis pour toutes les nuits blanches avant le départ, tant pis pour la trouille en montant dans mon premier taxi (qui m’arnaquera quoi qu’il arrive), tant pis pour le sac-banane de mamie cachée sous mes fringues. Mon voyage n’est jamais aussi beau que lorsque je dépasse mes peurs.
Et vous, vous aimez dépasser votre peur en voyage ? Vous connaissez bien vos limites ? J’attends votre expérience dans les commentaires !
Épinglez-moi !
C’est tellement ça!
La dernière trouille, c’est quand je me suis paumée dans les vieilles ruelles de Marrakech, qu’il faisait 40°C, que je n’avais plus d’eau… et que j’ai réussi à croiser quelqu’un qui a fait signe à son mari lequel m’a raccompagnée sur sa mobylette 😉
Heureusement tout se finit généralement bien, mais quel stress ! Moi aussi je me suis perdue dans la médina de Marrakech, j’ai marché une dizaine de kilomètres avant de tomber enfin sur un taxi – qui semblaient bien plus rares qu’aux abords de la Place… Et puis les galères toute seule, c’est bien moins drôle qu’à plusieurs !
Je connais beaucoup le stress du départ aussi, la peur de louper l’avion ou le train! D’oublier mon passeport, comme celle de perdre mon appareil photo parce que je suis tête en l’air!
Par contre, je suis quelqu’un de très insouciante quant à ma sécurité, j’ai bien de la chance de n’avoir jamais eu de problème! Mais mon entourage a beaucoup travailler à me faire perdre cette naïveté, donc je suis plus méfiante aujourd’hui. Cependant, je n’ai pas envie de perdre cette approche des gens qui fait que je ne me pose pas ou peu la question de savoir si dans une rue remplie d’hommes, je peux avoir des problèmes.
Mais bon, ces situations sont plus rares maintenant car on voyage principalement à deux… Donc la dynamique est bien différente!
Merci en tout cas, de partager cette part de toi, j’ai l’impression de mieux te connaître de jour en jour à travers tes articles 🙂
Awww merci Laura ! Tu as de la chance d’avoir cette insouciance qui te permet sûrement de t’ouvrir aux autres ! Je suis de nature méfiante (certains diront misanthrope…) et je suis assez réticente au contact humain, d’où le fait que je sois souvent peu à l’aise dans les foules. Après, il s’agit aussi de connaître ses limites et seule, j’évite naturellement les grands marchés ou les rues remplies d’hommes (en voyage comme au quotidien, d’ailleurs).
J’étais également très stressé avant, même si je suis un homme, mais j’ai dépassé cela et ne pars plus la boule au ventre.
Je conserve toujours quelques inquiétudes, mais souvent inutilement… J’étais à Moscou le mois dernier et franchement, je me suis senti plus en sécurité qu’à Paris !
Est-ce que tu as fait un travail sur toi pour ne plus avoir peur, ou est-ce l’expérience qui t’a montré que finalement, tout se passe généralement bien et te permet de relativiser ? C’est bien de lire aussi des témoignages d’hommes qui ne sont pas forcément à l’aise partout, tout le temps… On met souvent l’accent sur les voyageuses car on est – objectivement – des cibles plus faciles, mais les hommes aussi ont le droit d’avoir peur et de douter.
Eh ben moi je te trouve hyper courageuse justement parce que tu as peur, mais que tu y vas quand même ! C’est vrai qu’on a souvent ces remarques, le fait de voyager seule c’est « whouaaa t’es Lara Croft ». Mais on a toutes des angoisses. J’admets faire partie de ces filles qui n’en ont pas tant que ça (à part le vertige, mais là c’est complètement irrationnel). En fait je ne me pose pas de questions, je n’imagine pas les problèmes avant qu’ils ne se posent (en tout cas j’essaie, je n’y arrive pas toujours). Et quand ils se posent, vu que je ne suis pas non plus à l’arrache, j’essaie de garder la tête froide : problème – observer qu’est-ce que j’ai autour de moi – réfléchir – trouver une solution 😀
Le seul truc qui trotte non stop dans ma tête c’est l’argent, mais bon, je suis freelance, donc c’est normal 😉
Je n’ai pas le choix d’être « courageuse »… parce que j’aime trop voyager ! Si je restais chez moi clouée par la peur, je me sentirais vraiment misérable. J’admire les gens qui ne se posent pas trop de questions, Etienne est comme ça, notre cerveau ne fonctionne tout simplement pas pareil – si quelque chose me fait cogiter, je vais cogiter LONGTEMPS lol. Pareil aussi pour l’argent, même si je suis plus détendue selon les destinations :p
Il est super cet article, très honnête, ça fait plaisir à lire! Moi je suis une grosse stressée aussi et je compense en imaginant TOUTES les situations merdiques possibles que je risque de rencontrer en voyage (en sachant très bien que c’est LA situation que je n’ai pas imaginée qui va sans doute se produire). Mais bon, c’est le jeu et ça ne m’a jamais empêchée de partir. Ce qui est chiant, c’est que je suis beaucoup plus consciente des risques aujourd’hui à 36 ans que quand j’avais 19 ans et que je suis partie trois mois en Asie avec mon sac à dos. Putain, qu’est-ce que ce sera dans dix ou vingt ans???
Je n’ose même pas y penser, à dans dix ou vingt ans… Mais être conscientes de ses angoisses, c’est déjà un premier pas pour ne pas se laisser submerger. J’avais hésité à publier cette chronique qui ne fait pas trop blogueur pro du tout (ça tombe bien, je ne suis pas blogueuse pro !), mais je suis contente de voir qu’on est pas mal à stresser, même si au final ça ne nous empêche pas de partir. Je m’aperçois d’ailleurs que mes angoisses sont souvent AVANT le départ, quand je suis encore bien au choix chez moi, que la peur culmine au moment exact où je franchis le seuil de la porte et qu’au moment où je suis sur la route/dans l’aéroport/le train, la plupart se sont envolées (pas dans l’avion. L’avion, c’est le démon).
[…] pour mon Master, et ça facilite sacrément la tâche. Et parce que j’avais tellement la pétoche de voyager dans ce pays à la réputation pas forcément irréprochable dès qu’on […]
[…] du voyage. Celles qui partent à l’aventure sans personne, sans filet, même si elles ont peur, même si elles sont introverties, parce que l’appel du voyage est plus fort que tout, et que […]
Je suis tombée par hasard sur ton article et il m’a beaucoup parlé. Je suis souvent anxieuse à l’idée de voyager, de louper l’avion, ou encore d’avoir un pépin sur place. Cela ne m’empêche pas de voyager car c’est ma passion, et j’ai l’impression que chaque voyage me permet de relativiser (et donc d’être de moins en moins trouillarde). J’ai beaucoup aimé ta phrase » Mon voyage n’est jamais aussi beau que lorsque je dépasse mes peurs ». Je la trouve très juste, et j’essayerai de me la remémorer la prochaine fois que je me sentirai angoissée en voyage 🙂
Au plaisir de te lire,
J’ai beaucoup aime lire ton article ! J’ai pour projet de partir plusieurs mois en Amérique latine avec mon chien et bien évidemment j’ai 10 000 appréhensions surtout pour mon toutou …
Est ce que tu serais d’accord qu’on se contacte pour pouvoir échanger sur tes expériences 🙂