Paris ne démérite pas son surnom de Ville Lumière : ses sites rayonnent dans le monde entier, ils sont solaires, éblouissants. Je veux bien sûr parler de la tour Eiffel, de l’arc de Triomphe, de Notre-Dame de Paris toujours vaillante… Devant tant de lieux éclatants, on a tendance à oublier que Paris a sa part d’ombre et ses monuments d’outre-tombe. Le Père-Lachaise est sans doute le plus célèbre, incroyable cimetière où les anciens grands côtoient le populaire de ce monde (et c’est un vrai incontournable… attendez-vous à ce que je vous en reparle). Mais s’il ne fallait retenir qu’une visite emblématique du côté obscur de Paris, ce serait ses incroyables catacombes, ossuaire aux proportions colossales où reposent littéralement les restes des millions de Parisiens.
On ne va pas aux catacombes comme on va aux Champs-Élysées et je vous mets en garde dès ici : soyez-en persuadés, c’est une visite étrange et perturbante, que je ne conseille pas à tous. Les plus jeunes et les plus sensibles pourraient être bouleversés à l’ambiance étrange qui règne à vingt mètres sous terre. Et si la vue d’ossements vous trouble, je vous invite à lire d’autres chroniques plus inoffensives. Avez-vous lu mon compte-rendu sur une escapade en Provence, un week-end à Annecy ou mon voyage en Gaspésie ? Sinon, poursuivez votre lecture : ici commence l’empire de la mort.
En passant par Paris en avril 2019 pour voir Paule-Élise et Hélène du blog 1916 kilomètres, j’avais absolument envie de voir trois choses : Notre-Dame de Paris, le Père-Lachaise, et les catacombes. Je ne passe pas souvent par Paris, c’est peu de le dire – ma dernière visite remontait à cinq ans en arrière, et qui sait quand sera la prochaine… Paris, j’y ai vécu quelques mois voilà longtemps, et voir cette bonne vieille tour Eiffel est toujours agréable, j’avais d’autres priorités pour cette visite-éclair (36 heures !).
Les catacombes comptent parmi les sites les plus visités de Paris, avec pas moins de 538 000 visiteurs en 2018. J’avais donc commandé un coupe-file pour optimiser ma visite, et bien m’en a pris malgré la dépense. La file est longue comme un jour sans pain pour ceux qui n’ont pas craché au bassinet. D’ailleurs, il faudra malgré tout attendre, même avec le coupe-file, sachez-le. Mais le plaisir s’accroît quand on poireaute vingt minutes sur les rotules, comme dit le dicton.
D’ailleurs, en parlant de rotules, en voici quelques beaux spécimens (je crois ?).
Une fois à l’intérieur, je trépigne d’impatience alors que les gens devant moi ont du mal à scanner leur billet pour entrer. Mon tour arrive. L’escalier en colimaçon descend à vingt mètres sous terre. L’escalier tourne, je perds le compte des marches, j’ai le tournis, c’est l’émotion peut-être. Après cette interminable descente aux enfers, me voici enfin dans une galerie. Quelques personnes s’arrêtent au premier point audioguide, je file d’un bon pas, toujours impatiente, je veux les distancer.
Et une horrible vérité m’apparaît : je suis absolument seule. Sous terre. Dans des catacombes. Je m’arrête. Personne en vue devant. Personne en vue derrière. Je ne me suis quand même pas trompée, non ? Je reviens en arrière, je trouve le point audioguide n° 2. Bon. Tout va bien. Je repars. Mais pour une raison qui m’échappe, je reste dix bonnes minutes seule dans le boyau, à avancer à pas comptés, sous la lumière blafarde, à espérer et redouter à la fois le moment où je serai en tête à tête avec les squelettes.
J’avais tort de m’en faire : si les 500 premiers mètres sont d’une solitude absolue, l’ossuaire signe le retour à la foule. Les visiteurs se concentrent autour de panneaux explicatifs à l’entrée, et puis cet avertissement tant attendu arrive :
« Arrête : c’est ici l’empire de la mort« .
Admonition lapidaire qui n’empêche pas des milliers de visiteurs de franchir ce seuil symbolique chaque jour.
Une photo effroyable digne des pires appareils jetables de 1998.
Le spectacle est excessivement déroutant. Dans cet ossuaire municipal, ce sont pas moins de deux millions de Parisiens qui ont été transférés dès le XVIIIe siècle, dans d’anciens boyaux de carrière. Ces boyaux représentent d’ailleurs une partie infime des carrières creusées sous Paris. À la fin du XVIIIe siècle, les cimetières parisiens sont saturés, la ville est menacée d’insalubrité. L’air et l’eau sont putrides dans certains quartiers où fosses communes et charniers débordent. C’est une situation de cauchemar, où la pression des cadavres fait s’effondrer les murs adjacents aux cimetières.
S’inspirant des nécropoles romaines, les autorités décident de déplacer les ossements des millions de Parisiens inhumés dans plusieurs cimetières de la capitale, dont le Cimetière des Innocents. Les premiers aménagements débutent en 1785. Au début du XIXe siècle, ce qui est désormais le plus grand ossuaire au monde est aménagé en vue de l’ouvrir au public : les os en vrac sont ordonnés, des monuments d’inspiration égyptienne et dorique sont construits, des poèmes sont ajoutés. Dès 1809, les premiers visiteurs débarquent.
[Parenthèse lexicale : techniquement, des « catacombes » sont un cimetière souterrain creusé de galeries, dont les parois sont creusées de tombeaux superposées. Les « catacombes » parisiennes ne sont pas vraiment un cimetière souterrain, et n’ont jamais eu de caractère sacré. Elles ont été baptisées ainsi en référence aux catacombes de Rome.]
J’avance à pas de loup. Je ne sais pas ce qui est le plus déroutant à mes yeux : cet aménagement inouï de milliers et de milliers d’os, ou la désinvolture des visiteurs, qui cachent sûrement leur gêne sous un vernis rigolard. J’imaginais une ambiance solennelle, elle est diluée dans la foule, tout comme le nombre d’ossements semble diluer leur véridicité. Je ne doute pas un seul instant de l’authenticité de ces os centenaires, mais comment imaginer seulement que deux millions de personnes autrefois vivantes se trouvent ici ?
La délicieuse poésie morbide des catacombes est partout, que ce soit dans ce cœur de crânes à l’entrée, dans l’alignement des tibias et fémurs en dentelle, dans les stèles gravée de quelques vers. Elle me ramène un peu vers le concret, avec l’habileté coutumière des beaux vers, qui savent à la fois évoquer le réel en s’envolant vers l’imaginaire. J’aime énormément tous ces poèmes, qui rappellent la mort dans l’air avec des mots pour adoucir la réalité de ce qui fut et de ce qui sera. « Ainsi tout passe sur la terre / Esprit beauté grâce talent / Telle une fleur éphémère / Que renverse le moindre vent« .
Lassée par la foule, je la laisse s’étirer, me distancer. Comme nous entrons à des créneaux fixes, je sais qu’un certain laps de temps me sépare de la prochaine vague de visiteurs. Je rebrousse chemin, je repasse dans les endroits les plus solitaires, ceux où personne n’est visible d’un côté ou de l’autre du boyau. Maintenant que je sais où je suis, contrairement au début, je n’ai pas de problème à rester seule. Deux ou trois autres personnes font de même, nous nous laissons de l’espace, nous nous laissons du silence.
C’est en cette fin de visite, délestée de la gêne des autres visiteurs, des flashs des appareils photos et des selfies bravaches, que j’apprécie réellement les Catacombes et que j’en prends la pleine mesure. Sans personne pour troubler l’atmosphère, les galeries dégagent une ambiance mélancolique. Ces amas d’os ont été des personnes, un jour, des personnes qui respiraient, riaient, pleuraient. Dans trois cents ans, nous serons tous comme eux. Vous connaissez cette chanson des Flaming Lips qui dit « Do you realize / That everyone you know / Someday will die » ?
Cette visite est une vraie confrontation avec la mortalité de chacun, une idée pas évidente à digérer, mais quoi de mieux que deux millions de squelettes pour nous le rappeler ? L’engouement pour ce site, parmi les plus visités de Paris, n’est pas dû au hasard : déguiser en visite historique l’occasion de se confronter au tabou de la mort dans nos cultures, sans obligation ni chagrin, c’est une occasion unique, et je comprends parfaitement que nous soyons nombreux à la saisir.
Juste avant de repartir, je ne peux m’empêcher de me demander si ces squelettes sont amusées ou navrées de nous voir défiler ainsi, affairées à leur tirer le portrait. Nous en veulent-elles de troubler leur dernier « repos », sont-elles contentes de la compagnie et de l’animation, s’ennuient-elles le soir venu ? Il n’y a probablement rien qui plane derrière ces centaines d’orbites vides, et pourtant…
Rave party tous les soirs pour les squelettes des Catacombes ! Qui sait…
Je vois arriver les premiers visiteurs du groupe suivant, il est temps de quitter les lieux. Je remonte les 243 marches vers la surface, dans un escalier-boyau qui donne l’impression de naître des entrailles de la Terre. De retour dans le monde des vivants, la visite se termine sur le spectacle le plus incongru qui soit : une boutique entièrement dédiée à la mort, aux squelettes, à l’outre-monde. Porte-clés macabres y côtoient des livres sur le Paris des ténèbres, presse-papiers en forme de crâne se mêlent aux citations des poésies croisées dans les galerie. La marchandisation de la mort à son comble, mais une marchandisation ludique, comme un sas pour retrouver une certaine légèreté après une visite qui est sûrement déconcertante ou éprouvante pour de nombreux visiteurs. Comment ne pas rire devant les squelettes-jouets, devant les bougies ultra-kitsch ? Je repars amusée par cette dernière impression des Catacombes.
Infos pratiques
Entrée : billet adulte 14 €, billet coupe-file 29 €. Sans coupe-file, attendez-vous malheureusement à faire la queue entre une à deux heures en fonction de l’affluence ; mieux vaut venir un jour en semaine mais je pense qu’il y aura toujours des touristes avec vous. Si votre temps vous est compté (et ne l’est-il pas pour tout le monde…), pensez au billet coupe-file. Il est évidemment hors de prix mais j’ai pu arriver 10 minutes avant l’heure prévue sur mon billet et passer sans attendre.
On entre dans les catacombes en descendant un long escalier. Le lieu n’est pas accessible aux fauteuils roulants en raison des nombreuses marches. Le parcours fait environ 1,5 km de long. Comptez deux heures, entre l’attente, les formalités, la visite et le retour au point de départ (on ressort à un endroit différent de l’entrée). Je le déconseille aussi aux claustrophobes, la voûte peut être basse par endroit (je la touchais de la tête). Ouvert de 10 h à 20 h 30, dernière entrée une heure avant la fermeture. Plus d’infos ici.
Boutique des Catacombes : 21 bis rue René Coty. Même sans visiter les Catacombes, cette boutique est un bon arrêt pour ceux qui s’intéressent à la mort et à l’esthétique morbide : bijoux, tee-shirts, objets divers et variés, livres et littérature…
Accéder aux catacombes de Paris
- métro 4 ou RER B, arrêt Denfert-Rochereau
Où dormir à Paris non loin des catacombes
- Hôtel Tolbiac, 122 rue de Tolbiac dans le 13e. Un hôtel tout simple avec des salles de bains communes ou privative. Propre mais parfois bruyant. Attention : il fait sept étages… sans ascenseur ! Marcher 500 mètres et prendre le métro 6 à Place d’Italie pour accéder directement à Denfert-Rochereau. À partir de 50 € la chambre simple avec sanitaires communs.
- Hôtel Belambra City Magendie, 6 rue Corvisart, dans le 13e. Un hôtel d’affaires honnête, avec des chambres petites mais propres et silencieuses, et un personnel attentif. Buffet de petit-déjeuner compris, une bonne affaire. Ici aussi, prenez le métro 6 (Corvisart) pour accéder directement aux Catacombes. À partir de 100 € la chambre double.
Lire mes autres chroniques de voyage gothique
Et vous, avez-vous déjà visité les catacombes de Paris ou d’ailleurs ? Aimez-vous les visites macabres ? J’attends vos impressions dans les commentaires. Oyez, oyez. Ce billet contient des liens affiliés.
Brrr, je frissonne rien qu’à te lire !! Tu as vraiment su transcrire l’ambiance à la fois insolite et inquiétante de ce lieu unique ! Son succès touristique m’étonne toujours un peu, mais comme tu le dis, c’est une occasion de se confronter à la mort sans trop d’affect… ce qui est déconcertant en soi !! Merci en tout cas pour la balade gothique… et pour la mention J
Je ne perds jamais une occasion de parler de votre blog <3
Comme tu dis, le succès des Catacombes tient sûrement au fait de pouvoir reluquer des "vrais" ossements sans charge émotionnelle comme dans des ossuaires mémoriels (je pense à ceux du Cambodge, mais il y en a sûrement d'autres). Je ne sais pas si j'ai avancé dans ma réflexion sur la mort, il faut sûrement plus qu'une heure de visite pour ça, mais pouvoir réfléchir à cette question difficile une heure durant sans interruption, c'est déjà très précieux.
J’adore les catacombes, j’y suis allée plusieurs fois mais alors là quand je vois les prix je suis assez étonnée, ça a bien changé depuis la dernière fois ! 🙂 Et le prix du billet coupe-fil coûte plus du double du billet simple, c’est la fête ! 😀
J’aime beaucoup l’ambiance particulière qui se dégage de ces lieux, on fait un tour dans l’histoire de Paris, on se rend compte que les squelettes, on peut en mettre plein au mètre carré, avant de l’avoir vu en vrai, on ne se pose jamais la question ! Les poèmes et autres écriteaux participent à cette ambiance ! 🙂
« Les squelettes, on peut en mettre plein au mètre carré, avant de l’avoir vu en vrai, on ne se pose jamais la question ! » Mille fois oui ! Et même après les avoir vus en vrai, sous cette forme déstructurée, ce n’est toujours pas évident de se représenter la mort ainsi. Pour le prix des billets, j’imagine que les lieux sont victimes de leur succès, et que c’est un moyen de réguler la fréquentation ?
Vu la longueur de la file d’attente je ne sais pas si le prix régule vraiment la fréquentation … Les mystères de la mairie de Paris ! :p
Merci pour ton billet, qui m’a replongée avec plaisir dans cette visite mémorable que sont les catacombes. Il y a un côté assez surréaliste dans le fait de visiter un lieu aussi singulier, caché sous le bitume tandis que la circulation suit son cours… « Arrête : c’est ici l’empire de la mort » – cette injonction au carpe diem, à la contemplation, à l’arrêt – me rappelle l’inscription sur un cadran solaire que j’ai croisé à Metz : « Passant, prends le temps, sinon il te prend ».
2019, et les natures mortes sont toujours des miroirs dans lesquels nous avons tant à apprendre.
Merci d’être passée par ici 🙂 J’aime beaucoup cette autre inscription ! Un rappel important quand on a tendance à laisser filer les jours à la frénésie d’une vie trop remplie…