Félicitations, vous êtes maintenant citoyens canadiens !
Voici les mots dont tout immigrant au Canada a rêvé un jour. Par sa relative simplicité d’obtention, la citoyenneté canadienne est un peu le Graal de l’immigrant, la récompense suprême, le signe qu’on a réussi. Certains en rêvent avant même de plier bagage, d’autres la demandent au bout de nombreuses années. Certains la demandent pour ne plus avoir à se soucier de leur statut d’immigration, d’autres par amour pour le Canada, d’autres encore pour pouvoir voyager davantage qu’avec leur passeport initial. Chaque immigrant a un parcours différent, et je vais vous présenter ici à la fois les démarches d’obtention de la citoyenneté canadienne que j’ai suivies entre 2018 et 2020, et mon ressenti sur le fait d’avoir ajouté une citoyenneté à mon arc le 21 janvier 2020.
À noter, l’examen et l’entretien de citoyenneté se font actuellement en ligne en raison de la covid.
Déposer le dossier de demande de citoyenneté
Pour devenir citoyen canadien, c’est assez simple : il suffit :
- d’être résident permanent (je vous invite à relire mon billet qui présente plusieurs parcours pour obtenir ce statut)
- d’avoir passé 1095 jours, soit trois ans pleins, sur le territoire canadien au cours des cinq dernières années
- de déposer un dossier complet de demande de citoyenneté
- de s’acquitter de 630 $ par personne
- de satisfaire à un niveau minimal en anglais ou français (si vous êtes francophone de naissance, ce sera une formalité)
- de réussir l’examen de citoyenneté
- et de prêter serment.
Et voilà ! C’est tout ! Ça semble simple, dit comme ça. Et ça l’est, dans une certaine mesure, à cela près que déposer un dossier de citoyenneté renvoie dans une attente certes moins éprouvante que celle liée à l’obtention de la résidence permanente, mais une énième attente quand même. Vous trouverez toutes les étapes officielles ici.
Mon conseil pour remplir le dossier : faites-le sérieusement. Non, vraiment. Vérifiez tout plusieurs fois. Nous avons perdu beaucoup de temps quand le dossier d’Etienne nous a été renvoyé car il avait oublié une section. Qui dit section ou documents oubliés, dit un délai pour que le dossier nous revienne, un délai pour compléter le dossier de notre côté, et une nouvelle attente pour que le dossier soit réexaminé. Et hop, deux mois peuvent facilement être perdus comme ça.
À noter, je parle du dossier d’Etienne qui a ralenti nos deux dossiers : par choix, nous souhaitions faire toute cette démarche ensemble. Pour cela, il suffit d’envoyer tous les dossiers de la famille dans une même enveloppe.
Et ensuite, on attend.
Sœur Anne, ne vois-tu rien venir… ?
Passer l’examen de citoyenneté au Canada
L’examen est le gros morceau de la procédure de citoyenneté, celui qui nous a occasionné le plus de sueurs froides. Cet examen vise à démontrer vos connaissances sur le Canada, son histoire, sa société et ses valeurs. Beaucoup de chapitres tournent autour du fonctionnement de la monarchie parlementaire (puisque, je le rappelle, le Canada a la Reine Elisabeth II d’Angleterre à sa tête), de l’implication de l’armée canadienne aux deux guerres mondiales, et aussi du système électoral. Sans oublier les Canadiens illustres, les droits et devoirs d’un bon citoyen canadien et l’histoire du pays. Autant j’ai trouvé passionnant de découvrir l’histoire du pays en profondeur et de connaître enfin la mécanique du système électoral, autant l’insistance sur telle ou telle bataille de la première guerre mondiale, ou sur les parallèles avec d’autres monarchies parlementaires, m’a semblé une surdose d’informations indigeste.
L’examen, ce sont vingt questions à choix multiples, trente minutes, beaucoup de stress et surtout un livret d’une soixantaine de pages à apprendre en profondeur. Vous pouvez le télécharger ici. Pour réussir l’examen, il faut répondre juste à au moins 15 questions sur 20, soit 75 % de bonnes réponses.
Voici quelques exemples de sites pour s’entraîner. Vous faites le quizz et vous me dites vos résultats en commentaires, juste pour rire (et surtout si vous êtes Canadienne de naissance !) ?
- http://www.devienscitoyen.ca/quiz
- https://www.ccs-etraining.com/fr/testpratique/
- Pour notre part, nous avons choisi d' »investir » dans un site qui permet de s’entraîner à plus de 700 questions : https://www.examencitoyennete.ca/examen. Pour 10 $, nous avons pu nous entraîner tous les deux de tout notre saoul pendant les trois jours précédant l’examen.
Quelle est la plus grande ville du Nouveau-Brunswick ? (indice : pas Moncton)
Le guide de préparation officiel doit rester votre référence principale en cas de doute sur les réponses (et il y a quelques inexactitudes ou infos périmées sur tous les sites), mais faire et refaire mécaniquement des tests permet d’engranger les connaissances de manière très efficace. Je n’ai pas le droit d’en dire plus sur les questions mais sachez si les questions de l’examen officiel ne sont évidemment pas celles des sites, ceux-ci font malgré tout un bon entraînement. Libre à vous de vous abonner ou non. Une amie vient de réussir son examen de citoyenneté avec 18/20 en s’entraînant uniquement avec les versions gratuites disponibles en ligne.
Si vous n’obtenez pas 75 % de bonnes réponses, vous aurez droit à un rattrapage. Si vous échouez à nouveau, un entretien sera fixé pour tenter de vérifier vos connaissances à l’oral. Je ne vois pas de raison d’échouer sur toute la ligne pour peu que vous ayez travaillé sérieusement avec le guide. Certes, environ 20 % de candidats à la citoyenneté échouent à cet examen, mais n’oubliez que tous n’ont pas le luxe de le passer dans leur langue maternelle, qui plus est sur des questions qui leur sont familières – une grande partie de l’histoire du Canada est intimement liée à celle de l’Europe.
Dans mon cas, j’ai reçu ma convocation trois semaines avant l’examen. Je me suis entraînée sur les sites gratuits dans un premier temps, avant de mettre le paquet sur un site payant les trois derniers jours. Je compilais mon taux de réussite et au bout d’un moment, j’enchaînais les 100 % de bonnes réponses.
Le jour J, Etienne et moi étions convoqués pour un examen à 14 h à Fredericton, à deux heures de route de Moncton. L’examen se déroulait dans une salle de réunion d’un hôtel d’affaires en périphérie, un cadre assez insolite – j’aurais imaginé le passer dans une université, par exemple. Nous sommes arrivés bien en avance, loin d’être les premiers arrivés. Nous devons être une cinquantaine. Nous attendons tous dans un couloir. Des gens discutent, certains lisent leur guide, Etienne s’isole pour tenter de se souvenir une dernière fois des dates d’intégration des provinces à la Confédération, sa bête noire. Je me récite des petits aide-mémoires. Deux agents d’immigration arrivent, enfin. Ils sont en retard, et la tension s’est épaissie depuis que l’heure du rendez-vous est passée. On a tous vérifié sept fois qu’on était au bon endroit, à la bonne heure. Puis, un agent nous demande d’entrer dans la salle. Avant d’entrer, on prend notre nom et on nous attribue une place à bonne distance des membres de notre famille. On nous rappelle les règles, en insistant bien sur le fait que tricher sera sévèrement puni – je ne crois pas que qui que ce soit aie envie de le faire.
Les copies sont distribuées. Il y a plusieurs versions de l’examen pour éviter les tricheries. Devant ma copie, tout va bien. J’ai bien travaillé, je suis sereine. Les candidats terminent rapidement l’examen. Je relis bien mes réponses plusieurs fois et je sors au bout de 15 minutes. Ça, c’est fait. Je rejoins Etienne sorti avant moi, on souffle un peu et on se prépare à une nouvelle attente : celle pour l’entretien.
Dans ma tête après l’examen de citoyenneté… Enfin zen.
L’entretien après l’examen de citoyenneté
Le même jour que l’examen, chaque candidat passe un entretien individuellement avec un agent d’immigration, qu’il présente sa demande seul.e ou en famille. Il y a une certaine attente puisque l’entretien se fait à mesure que les copies sont corrigées. Si vous avez déposé votre demande en couple, chacun passe seul à seul.e avec l’agent, à la suite. Etienne passe en premier, je l’entends rire avec l’agent. Il revient dans le couloir au bout de dix minutes, m’annonce d’un ton victorieux qu’il a eu 20/20. Il semble soulagé. C’est à moi de passer. Je ne suis pas nerveuse, je pense avoir réussi l’examen, et je suis plus détendue qu’à l’entrée dans la salle d’examen.
Les questions sont assez simples : où habitez-vous, depuis quand, êtes-vous propriétaire, quel est votre métier… On me pose aussi des questions sur Etienne, et il me dira qu’on lui en a aussi posé sur moi. Mon conseil si vous passez en couple : relisez vos deux dossiers de citoyenneté pour être bien au clair sur les infos de l’un et de l’autre. Ce n’est pas une question de fraude mais il pourrait y avoir des ambiguïtés un peu gênantes. Par exemple, Etienne travaille pour une compagnie britannique avec une antenne à Moncton : il aurait pu y avoir un moment de flottement si je n’avais pas su que le siège social de la compagnie, c’est-à-dire l’adresse mentionnée dans son dossier, est bien au Royaume-Uni.
On parle beaucoup de mes voyages. Le temps passé sur le territoire canadien étant capital dans le dossier, il est logique que l’agent cherche à vérifier si je n’ai pas passé plus de temps à l’étranger que je ne le prétends. Il vérifie mon passeport en cours et mon passeport précédent, recoupe avec les infos de mon dossier. Il se trompe parfois – volontairement ou non, je ne sais pas – et je rectifie. « Oui alors République Dominicaine c’était en… » « Non malheureusement, je n’y suis jamais allée, mais au Mexique et à Cuba, si. » « Ah oui les tampons se ressemblent tous »… Vous voyez l’ambiance. Cordiale, mais on sent que des infos sont vérifiées sous le vernis d’une conversation ordinaire.
Mon entretien dure une dizaine de minutes, l’agent m’annonce au détour d’une phrase que j’ai réussi l’examen avec 20/20, et que sauf s’ils ont besoin de documents supplémentaires, je devrais recevoir ma convocation à la cérémonie de citoyenneté sous deux à quatre mois. Je suis à la fois heureuse d’avoir réussi l’examen et un peu déçue de cette nouvelle attente.
Quand tu attends ta convocation à la prestation de serment…
Prêter serment lors de la cérémonie de citoyenneté
Un mois après avoir passé notre examen, nous recevons notre convocation à la cérémonie de citoyenneté. Je dois dire que recevoir cette annonce le 24 décembre nous a semblé un joli geste et un superbe cadeau de Noël. Nous sommes convoqués pour un mois plus tard, de nouveau à Fredericton, de nouveau à deux heures de route.
Cette fois, assez peu de documents sont à apporter : la convocation, notre carte de résident permanent, nos passeports, l’original de notre confirmation de résidence permanente (formulaire 5688), une autorisation relative au droit à l’image puisque la presse peut être présente. Les exigences changent parfois, fiez-vous à la liste indiquée sur la convocation.
Dans les semaines qui mènent au jour J, je me renseigne un peu sur la tenue vestimentaire requise, sur le déroulement de la cérémonie. Une petite vidéo officielle vous montre le déroulement ici. Pour la tenue, j’avais envie de mettre de rouge qui est une des couleurs officielle du pays (et l’une des rares couleurs de ma garde-robe surtout noire et blanche). J’ai opté pour une robe noire et un blazer rouge. Etienne était en costume sans cravate. Je précise tout ça car je me suis fait des nœuds au cerveau sur le degré de formalisme de l’événement, l’étiquette n’étant pas exactement la même qu’en France.
Avant-après la cérémonie… De la crispation au soulagement !
Le jour J, nous avons rendez-vous dans un centre communautaire. J’arrive très en avance, je m’installe dans le café du centre et je souris de voir toutes les personnes qui sont manifestement ici pour la même chose que moi : des dames en robe de soirée, des hommes en costume, je vois passer des talons hauts, des tailleurs, tout le monde s’est fait beau hormis trois ados blasés. Nous attendons dans un grand hall. J’ai la joie de découvrir qu’une amie va devenir Canadienne en même temps que nous, et nous restons ensemble (c’est d’ailleurs à elle et son mari que nous devons les photos de nous prises ce jour-là). À l’heure indiquée sur notre convocation, soit une heure avant la cérémonie, on nous indique qu’il faut s’enregistrer avant d’aller s’asseoir. Les préposés prennent notre convocation, notre autorisation de droit à l’image et notre carte de résident permanent… et oui, nous n’en aurons normalement plus besoin. On se sent tout nus sans.
Pourquoi « normalement » ? Le petit stress qui reste, c’est que la prestation de serment doit se faire d’une voix haute et claire, et les officiels doivent pouvoir tous nous entendre. Quand on a une voix de souris comme moi, c’est un peu impressionnant. On ne rigole pas avec ça, si un officiel a l’impression que vous ne prononcez pas le serment dans son ensemble, vous risquez de ne pas recevoir votre citoyenneté.
La cérémonie commence. Une juge anglophone nous accueille en parlant du pays. La cérémonie est au format « bilingue » mais honnêtement, c’était davantage 70 % anglais, 30 % français pour les discours – les consignes, elles, sont strictement bilingues. Après une série d’explications, nous nous levons tous pour prêter serment. La juge le prononce et nous le répétons phrase par phrase, d’abord en anglais, puis en français. Nous sommes invités à le répéter dans les deux langues, et c’est ce que je fais.
J’affirme solennellement
Que je serai fidèle
Et porterai sincère allégeance
À Sa Majesté la reine Elizabeth Deux
Reine du Canada
À ses héritiers et à ses successeurs
Que j’observerai fidèlement les lois du Canada
Et que je remplirai loyalement
Mes obligations de citoyen canadien.
I swear (or affirm)
That I will be faithful
And bear true allegiance
To Her Majesty Queen Elizabeth the Second
Queen of Canada
Her Heirs and Successors
And that I will faithfully observe
The laws of Canada
And fulfil my duties
As a Canadian citizen.
Photo gentiment prise par un ami et savamment retouchée par Alexandra du blog Itinera Magica
La juge termine avec un grand sourire.
« Félicitations, vous êtes maintenant citoyens canadiens« .
Embrassades, émotions.
C’est ensuite une longue énumération de noms : on nous appelle pour aller prendre notre certificat de citoyenneté sur l’estrade, par famille, à la chaîne. Ne craignez rien si vous êtes timides, c’est un défilé constant et vous ne serez pas seuls sur scène. J’ai oublié de mentionner que nous sommes 98 ce jour-là… Cette étape prend la majeure partie de la cérémonie. Nos deux noms sont écorchés vifs comme de coutume (les anglophones maudissent TOUS mon deuxième prénom, Laetitia). Nous passons sur l’estrade, serrons la main de la juge, signons un dernier papier. Que disait-il ? Aucune idée. Peut-être nous sommes-nous engagés dans l’armée ou avons-nous vendu notre âme au diable ? Nous retournons à notre place en serrant notre certificat de citoyenneté. Un dernier petit discours et nous chantons l’hymne national bilingue. L’émotion déborde, les fausses notes aussi, sur les deux dernières strophes « O Canada we stand on guard for thee ».
La cérémonie se termine. Elle aura duré environ une heure.
Nous sommes Canadiens.
Nous sommes Franco-Canadiens.
Nous sommes émus.
Pas mon meilleur portrait, mais alors, qu’est-ce qu’on était HEUREUX. Et soulagés.
La chronologie de mon dossier de citoyenneté
- Début juillet 2018 : envoi de nos dossiers (Etienne et moi) dans une même enveloppe pour qu’ils soient traités ensemble.
- Mi-août 2018 : retour de nos dossiers. Mon dossier est complet mais il manque des informations à celui d’Etienne.
- Fin août 2018 : nouvel envoi de nos deux dossiers
- 7 octobre 2018 : accusé de réception de la part de CIC
- 7 janvier 2019 : début du traitement
- 30 octobre 2019 : convocation à l’examen
- 19 novembre 2019 : examen et entretien à Fredericton
- 24 décembre 2019 : convocation à la cérémonie
- 21 janvier 2020 : cérémonie de citoyenneté
Et fin janvier 2020, un week-end au vert pour se remettre de nos émotions !
Demander le passeport canadien
La dernière formalité, plus reposante cette fois : demander un passeport canadien. Désormais, il me faudra toujours utiliser mon passeport canadien pour entrer au Canada, et mon passeport français pour entrer en France. C’est logique : dans le cas contraire, je serais considérée comme une touriste. Pour peu qu’on souhaite voyager ou tout simplement rentrer voir la famille au pays, il est impératif, quoique pas spécialement urgent selon les cas (et certainement pas en ce moment), de posséder un passeport canadien.
Après la cérémonie de citoyenneté, il faut attendre trois jours ouvrés pour déposer sa demande de passeport, le temps que l’administration enregistre ses nouveaux compatriotes. Ensuite, c’est assez simple : il suffit d’un formulaire, de quelques justificatifs et photos, de nouveaux frais de traitement et le tour est joué. Nous avons envoyé nos demandes par la poste et le traitement aura duré un mois. Selon où vous habitez, vous pouvez aussi aller déposer votre dossier et retirer votre passeport en personne.
Pourquoi demander la citoyenneté canadienne ?
« Une motivation purement symbolique, l’étape finale d’un chapitre de vie. »
Je m’embarque sur un terrain glissant, avec ce paragraphe, non ? C’est une question qui peut aller du côté pratique le plus basique à des envolées philosophiques. Pour commencer, une raison pousse 80 % des résidents permanents à demander la citoyenneté canadienne dès qu’ils le peuvent, et cette raison, c’est la sécurité.
La sécurité d’avoir un statut fixe
La sécurité de ne pas être soumis aux aléas de la vie et de la politique. La sécurité de ne pas être expulsées au gré d’un durcissement du ton envers les immigrants. La sécurité de pouvoir s’absenter du pays pour faire face à des impondérables familiaux sans crainte de ne plus pouvoir rentrer par la suite.
Et ça, c’est déjà une très bonne raison. Quand bien même on tient à des idéaux, ne pas voir sa vie changer du tout au tout pour des raisons politiques ou administratives, c’est quand même mieux.
Être des citoyens à part entière
En tant que résidents permanents, nous pouvions faire absolument tout comme les Canadiens, sauf voter et occuper des postes sensibles et dans l’armée. En devenant Canadiens, nous acquérons le droit de vote, ce qui fait de nous des acteurs de notre pays, et non plus des spectateurs passifs d’une politique qui se passe de notre avis à tous les niveaux.
Pouvoir voyager
En tant que détenteurs de passeports européens, nous n’avons que rarement eu à nous soucier des formalités de voyage, le reste du monde déroulant généralement un tapis rouge aux Occidentaux (j’en parle longuement dans ce billet sur le privilège de voyager). Mais pour les immigrants qui relèvent d’autres États, obtenir un passeport canadien peut enfin leur ouvrir les portes du monde. (ne me lancez pas sur le concept de « citoyens du monde », terriblement eurocentré)
Bénéficier d’une double citoyenneté
Pour bon nombre d’entre vous, la question ne se pose pas : en tant que Français, Belges ou Suisses, vous pouvez cumuler cette citoyenneté et la citoyenneté canadienne. Il n’y a pas de renoncement, on ne fait qu’ajouter une épaisseur de plus à notre identité. D’autres citoyennetés n’ont pas ce luxe, notamment dans certains pays d’Asie. Évidemment, si j’avais dû renoncer à ma citoyenneté française, je ne crois pas que j’aurais mené ces démarches dès maintenant – la réflexion aurait été bien plus longue. En revanche, puisque cela ne m’enlève rien, j’ai souhaité m’ouvrir toutes les portes possibles en devenant binationale.
Tant d’horizons qui s’offrent à nous, désormais.
Et la nationalité canadienne, alors ?
Mais Audrey, et la nationalité dans tout ça ? Et bien elle n’a pas grand chose à voir avec la choucroute. Ce n’est pas un hasard si je parle de citoyenneté à tout va : il faut à tout prix faire la distinction entre la citoyenneté, c’est-à-dire la qualité de citoyen avec ses droits et ses devoirs, et la nationalité, c’est-à-dire l’appartenance à un groupe humain qui partage des traits culturels, ethniques et sociaux et qui se revendique en tant que tels. La démarche dont je parle ici tient véritablement au fait de devenir citoyen, pas d’intégrer la nation canadienne, même si les deux peuvent converger. Oui, je dis « Franco-Canadienne » [au sens de binationale française et canadienne] pour faire court dans ma bio Twitter, mais puisqu’ici j’ai le temps de dérouler ma pensée, je ne vais pas me gêner.
La nationalité est un concept cher aux Français. Je ne sais pas ce qu’il en est dans les autres pays mais pour nous, la nationalité est une sorte de concept ultime, qui a remplacé l’appartenance religieuse sans rien perdre de sa ferveur. En France, nous vivons dans un État-nation, où frontières et identité nationale sont censées se superposer exactement. Dans le cadre de notre grand récit national, la Nation toute-puissante se conçoit au sein d’un pays, et ce recoupement nous empêche de voir les Bretons, les Basques, les Corses… comme autre chose que des identités régionales (sauf peut-être si vous êtes Breton, Basque ou Corse. Je vous laisserai ajouter votre grain de sel en commentaire. Du côté des Savoyards, ce sentiment national n’est pas vraiment présent). Dans cette situation « idéale », comment ne serait-ce qu’envisager qu’on puisse avoir une nationalité qui ne coïncide pas avec le pays où on vit ? Il n’est d’ailleurs pas anodin que quand on cherche « nationalité canadienne », on ne tombe que sur des sites rédigés par des Français.
Il devient de plus en dur d’illustrer ce billet.
Au Canada, les choses sont différentes. Justin Trudeau, l’actuel premier ministre, ne qualifiait-il pas le Canada d’État « postnational » ? À savoir, un État où les valeurs partagées remplacent l’appartenance culturelle commune – le Canada étant constitué d’une mosaïque d’immigrants, cette définition n’est pas sans pertinence (même si elle a ses limites, évidemment). Je ne vois pas le Canada comme un État-nation ; le chasme entre francophones et anglophones est trop grand. N’oublions pas que les Québécois, tout comme les Acadiens, se considèrent comme une nation à part entière, distincte des « Canadiens » (entendre les Canadiens anglophones). Les Québécois sont même reconnus officiellement comme une nation. Comme l’explique une amie québécoise : « je ne me reconnais pas dans la culture anglo-canadienne ». Et n’oublions pas les Premières Nations, peuples qu’on a tendance à amalgamer dans un grand sac (« les Autochtones ») là où eux-mêmes ont évidemment leurs nations bien distinctes. Bref. La nation et la nationalité, au Canada, ce sont des concepts délicats, et on préférera s’en tenir à une citoyenneté certes plus administrative mais moins explosive. Le mot d’accueil de Justin Trudeau suite à l’obtention de notre citoyenneté canadienne portait d’ailleurs sur l’entrée dans le « plus extraordinaire pays au monde« , sans un mot sur la nation.
En bonne Française, bien sûr que je me pourrais me réclamer de la nation canadienne, mais si on veut être un brin honnête… c’est extrêmement prétentieux, non ? Même en partant du principe qu’il existe une nation canadienne, je ne crois pas qu’avoir passé quelques années dans un pays suffise à se revendiquer d’une culture. Je n’ai pas grandi au Canada, je n’ai pas connu les événements qui ont façonné son identité, ses victoires, ses traumatismes, ses petits riens culturels communs, ses chansons, ses jeux d’enfants, ses émissions de télé, ses valeurs, les valeurs des générations précédentes… Peut-être me dirai-je de nationalité canadienne dans plusieurs années mais pour l’instant, je suis de nationalité française et de citoyenneté franco-canadienne. N’y voyez pas un rejet, plutôt de la lucidité sur mon intégration dans la société. Et puisque chacun voit midi à sa porte, rien ne vous empêche de vous réclamer de la citoyenneté ET de la nationalité canadienne, voire de vous sentir Canadien avant même d’en acquérir la citoyenneté. Chacun a une expérience d’immigration différente.
Est-ce que je me sens Canadienne ? Hormis le fait qu’il est extrêmement difficile de savoir ce que « se sentir Canadienne » veut dire (au cas où le galimatias des paragraphes précédents n’était pas assez clair), la réponse est globalement non. Des fois oui, la plupart du temps, non. Je n’ai pas de réponse tranchée. La cérémonie était certes émouvante, mais essentiellement performative : on prononce le serment, et d’un instant à l’autre, un attribut s’ajoute à notre vie. Pour autant, nous restons les mêmes, rien d’autre ne change. Si vous êtes mariées, peut-être voyez-vous de quoi je parle ? Le côté performatif des vœux de mariage est ce qui se rapproche le plus du serment de citoyenneté. Prononcer le serment de citoyenneté était un instant qui change la vie, sans rien changer à mon quotidien. Du coup, je ne me sens pas forcément Canadienne. Peut-être aussi parce que je n’ai pas encore eu l’occasion de voyager en tant que Canadienne. Peut-être vais-je suivre la trajectoire de toutes ces personnes à cheval entre les pays, qui se sentent Françaises au Canada et Canadiennes en France. L’avenir nous le dira.
Un jour, moi aussi, poserai-je avec la police montée à l’occasion de la fête du Canada ?
Autres remarques en vrac
On l’a vu, je n’ai pas peur de me qualifier d’immigrante – vous n’êtes pas sans savoir tout le mal que je pense du terme « expatrié » (ou pire encore, « expat ») employé à tort et à travers, alors qu’il ne devrait désigner que les personnes qui entendent rentrer dans leur pays à moyen terme. Avis qui va faire polémique : l‘étape suivante serait sans doute de reconnaître que je suis une colonisatrice, et j’essaie de ne pas le perdre de vue. Le Canada a été bâti sur l’appropriation des terres autochtones et je ne suis qu’une Européenne de plus à venir s’installer sur les terres non cédées des Premières Nations, dans la droite ligne de ce qui se fait depuis 1604. La culpabilité ne sert à rien si elle ne fait pas avancer les choses, et plutôt que de ressentir de la culpabilité, j’essaie de ne pas oublier le fait que si je peux être chez moi au Canada aujourd’hui, c’est au détriment des peuples autochtones. Vous qui venez vous installer au Canada, essayez d’en être conscientes malgré tout – un petit rappel de la situation politique ne fait jamais de mal.
Beaucoup de candidats à la citoyenneté citent le fait de pouvoir avoir le choix de leur lieu de vie, le fait d’être accueillis à bras ouverts par les deux pays. Certes, et tout le monde ne se pose pas autant de questions que moi. Mais avoir obtenu cette deuxième citoyenneté a eu une conséquence inattendue chez moi : je me sens désormais tiraillée entre mes deux citoyennetés, comme dans un conflit de loyautés. C’est peut-être simplement la période d’ajustement, le fait que tout cela soit encore tout frais, le fait de ne pas encore eu l’occasion de voyager en tant que Canadienne. Mais je vois venir à l’horizon le moment où un choix se posera à moi. Avoir le choix, c’est génial jusqu’au moment où il faudra effectivement trancher : vais-je avoir envie (ou besoin) de rentrer en France un jour, délaissant ainsi mon pays d’adoption ? Vais-je tourner définitivement le dos à mon pays d’origine et choisir de faire ma vie au Canada ? Une troisième voie est possible, celle de l’immigration ailleurs… mais alors, ne serait-ce pas flouer et mon pays d’adoption, et mon pays d’origine ? Ici aussi, l’avenir nous le dira.
Si vous êtes arrivées à la fin de ce billet sans mal de crâne, félicitations ! L’obtention d’une nouvelle citoyenneté fait partie des rares événements quasi-définitifs dans une vie (oui, on peut révoquer ma citoyenneté canadienne, mais les risques sont extrêmement faibles) et sans avoir eu l’impression de changer au fond de moi, j’ai beaucoup de choses à dire sur le sujet. Je serai vraiment heureuse de lire toutes vos remarques, même les plus décousues, sur l’obtention d’une citoyenneté, votre rapport à la citoyenneté et à la nationalité, à l’État-nation, etc, alors ne soyez pas timide !
Si ce billet sur l’immigration au Canada vous a plu, je vous invite à (re)lire les billets suivants :
- La vie à Moncton en comparaison à d’autres villes canadiennes
- Différents parcours pour obtenir la résidence permanente au Canada
Et vous, avez-vous obtenu une deuxième citoyenneté ou l’envisagez-vous ? Comment voyez-vous le fait d’avoir une double citoyenneté/nationalité ? J’attends votre avis dans les commentaires !
D’abord, j’avoue que je ne savais pas comment ça fonctionnait vraiment pour obtenir la citoyenneté canadienne! J’apprends les détails grâce à toi.
Et puis, je tiens à te dire que j’apprécie beaucoup que tu te reconnaisses aussi comme franco-canadienne. C’est pas rien dans l’Amérique d’aujourd’hui! Enfin, je salue ta compréhension du Canada, de ses nuances, de ses multiples identités, de ses contradictions aussi (ça fait notre charme). Ça m’impressionne chaque fois que tu le fais, tu nous comprends mieux que bien des canadiens de naissance! On a de quoi être fier d’accueillir des immigrants de ta qualité!
Au risque de te décevoir, je ne crois pas que toi et moi mettions le même sens derrière « franco-canadien » ; j’y vois « double citoyenneté française et canadienne », tandis que tu y vois sûrement « canadienne d’ascendance française’ ? Toujours est-il que je me sens bien plus proche des Canadiens francophones que des anglophones, et que je me joins volontiers à tous les combats impliquant notre minorité linguistique.
Pour être honnête, je ne saurais pas non plus t’expliquer comment devenir Française ! Et c’est normal tant qu’on n’y est pas confrontés. Ce qui me fait le plus rire dans tout ça, c’est la relative méconnaissance de l’histoire canadienne par les gens qui sont nés Canadiens, souvent horrifiés par l’examen de citoyenneté. Mais je suis sûre que tu le passerais haut la main !
Ton article est très intéressant, très détaillé. Je n’avais pas du tout pensé à la différence entre nationalité et citoyenneté. Effectivement, sûrement parce que je suis française. Bien qu’ayant des origines bretonnes ! 🙂 Je n’ai pas vécu en Bretagne, je ne suis pas à même de répondre à ta question par contre. 😉
Merci d’avoir partager votre parcours et les informations utiles par rapport à L’examen! Bonne continuation!