Cela va faire cinq ans que je vis au Canada. Cinq ans. En cinq ans, j’ai eu le temps, d’en faire, des expériences. J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. Je n’ai pas vu de grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion ni les rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser. Mais j’ai fait du canot de mer et du canot de rivière et même que j’ai chaviré et pagayé toute mouillée. J’ai mangé des Oréos frits et des frites nappées de sauce brune avec du fromage et même du soda avec de la glace dedans. J’ai campé chez les ours et caressé des homards bleus. Je croyais avoir tout vu, tout fait. Mais je n’étais encore jamais allée à un cinéma en drive-in.
Aller au cinéma classique au Canada, c’est déjà toute une aventure. Entre les fauteuils gigantesques, les sacs de popcorn gigantesques, les bandes-annonces à rallonge, les jeux par wifi entre les bande-annonces à rallonge et l’enthousiasme plus apparent des spectateurs, c’est un peu différent des cinémas dont j’avais l’habitude en France. Mais aller au drive-in, c’est un peu comme être dans un film en allant au cinéma. C’est cinéception. Parce qu’évidemment, en Europe, les cinés drive-in, ça ne court pas les rues. La seule expérience qu’on en a, c’est ce qu’on en a vu dans un film américain ou un autre. Personnellement, je pense toujours à Grease quand j’imagine un ciné drive-in, mais ça n’engage que moi.
Aller au cinéma drive-in au Canada
À 20 minutes de Moncton se trouve Shédiac, un haut lieu de villégiature estival à la faveur d’eaux clémentes qui ont attiré dans leur sillage de nombreuses infrastructures pour ravir les vacanciers, comme le cinéma le Neptune Drive-In. Du vendredi au dimanche soir, deux films sont projetés à la suite. Cela faisait longtemps que je voulais y aller, mais on manquait de chance avec la programmation : deux films pour enfants ? Non merci. Un thriller suivi d’un film d’horreur ? Euh… NON. Enfin, ce samedi fatidique de juillet, on aurait dit que les étoiles s’étaient alignées pour nous : un film de super-héros et un deuxième film de science-fiction. Magnifique. Pour préserver ma dignité, je tairai leur nom. Il n’en fallait pas plus. Nous allions le faire. Nous allions enfin vivre l’expérience d’un ciné-parc.
Oups… vous savez désormais quels films nous ont fait sortir de notre tanière.
Se préparer à aller au ciné drive-in
Une certaine intuition m’a fait comprendre qu’on ne pourrait pas simplement se pointer et improviser. Après tout, on partait pour deux films d’affilée, soit quatre heures au bas mot. Il fallait savoir à quoi s’attendre un minimum. Peut-on partir quand on veut si on tombe de sommeil ? (oui) Trouve-t-on à manger sur place (évidemment !) Peut-on cuisiner sur place ? (certains drive-ins américains permettent d’apporter son BBQ, sachez-le)
Les drive-ins ont vu le jour aux États-Unis il y a plus d’un siècle, mais ils ont connu leur heure de gloire dans les années 1950. Pour se préparer, il fallait donc se mettre à la place d’un Américain dans les années 1950. Faute d’avoir une belle bagnole, nous sommes venus dans notre Kia Rio avec tout le confort possible : oreillers, plaids, chips, biscuits.
Les portes ouvrent à 20 heures et la séance commencera à 21 heures au plus tôt – plus tard s’il fait toujours clair. C’est qu’évidemment, la luminosité ambiante joue beaucoup. Nous arrivons à 20 heures précises, et une file de voitures se presse déjà au guichet. Une quinzaine de minutes plus tard, nous voici dans le fameux ciné-parc, à chercher le meilleur emplacement : près de l’écran ? Loin de l’écran ? Nous laissons les rangs du fond aux amoureux qui se bécoteront forcément. Geste apprécié, des ouvreurs orientent les gros véhicules d’un côté du parc. Le pick-up, c’est un peu l’équivalent du grand type avec un chapeau au ciné. Personne n’a envie d’être derrière lui. Nous finissons par choisir une place au deuxième rang. Chaque rangée est assez large pour repartir quand bon nous semble, et légèrement inclinée pour que nous soyons parfaitement orientés vers l’écran. J’aime quand quelqu’un pense à tout.
Mal se préparer à aller au cinéma en plein air
Par contre, de notre côté, l’organisation laisse franchement à désirer. J’avais pensé à certains détails, mais pas à tous. C’est pourtant une constante chez moi ; je sais que je me pose plein de questions, trop de questions, mais pas forcément les bonnes questions.
Quiconque s’apprête à passer une soirée en plein air au mois de juillet au Canada devrait avoir la présence d’esprit de se demander : comment ne pas laisser entrer les moustiques dans la voiture tout en évitant la buée ? En voyant les autres clients débarquer avec leurs moustiquaires sur mesure fixées à leur portière par des aimants, j’ai compris que clairement, il me manquait un peu d’expérience avant d’avoir mon badge d’habituée du ciné plein air.
Nous avions de l’espoir, pourtant. Munis de notre antimoustiques, nous pensions leur résister.
- Première tentative : on est des guerriers, on va laisser la voiture fermée, moteur éteint. Trois minutes plus tard, on n’y voit goutte. Nous sommes embués, il faut agir.
- Deuxième tentative : on est vraiment inconscients, on va baisser les vitres pour faire partir la buée, moteur éteint. Une minute plus tard, 175 moustiques se sont engouffrés dans l’habitacle. Nous remontons les vitres, emprisonnant nos petits compagnons avec nous. Après tout, peu importe qu’eux aussi regardent le film avec nous, mais ils ont du mal à ne pas piquer. Nous sévissons. C’est bien la première fois où mon pare-brise est constellé de moustiques à l’intérieur.
- Troisième tentative : on va mettre l’aération en marche, vitres fermées, moteur éteint, en tirant sur la batterie. C’est la bonne. Il reste toutefois une bonne centaine de moustiques avec nous, mais on ne peut pas tout avoir.
Cette photo n’a rien à voir mais je manque un peu d’illustrations pour cette chronique, voyez-vous.
L’autre question fatidique ce soir-là, c’était : comment entendre l’écran et ne pas s’embuer sans vider sa batterie ? Le son n’est évidemment pas diffusé depuis des hauts-parleurs, sans quoi le premier rang serait sourd et le dernier rang n’entendrait rien. Ça tombe sous le sens, ÉVIDEMMENT. C’est exactement pour ça qu’on a pensé à… que… Non. On n’y avait pas pensé.
Le son est diffusé à la radio, tout simplement. Il suffit de se brancher sur la bonne fréquence et nos personnages favoris nous parlent directement dans l’habitacle. Oh, la technologie. Mais évidemment, rester deux heures avec la radio et la soufflerie allumées, ça tire un peu sur la batterie. C’est pour ça que les habitués vrais de vrais ont une radio à piles avec eux.
Nous, on est des bouseux, on n’a pensé à rien, alors on fait comme des pouilleux cracra : on allume le moteur à intervalles réguliers. On n’est pas les seuls, vus les phares qui illuminent de temps à autres l’écran. C’est fou à quel point dans la nuit noire, des phares projetés sur un écran occultent totalement l’image, on n’aurait jamais pensé à ça, dis. De toute façon, comme on n’a pas résolu l’équation buée/deux personnes dans une voiture fermée en été, on est plutôt obligés de faire tourner l’aération. Oh, la pollution. J’ai honte.
Hormis ces petits désagréments – buée intempestive et moustiques vindicatifs – la séance se déroule plutôt bien. On peut incliner notre fauteuil et mettre les pieds sur le tableau de bord. On peut grignoter du pop-corn, des chips et des biscuits en faisant autant de bruit que possible. On peut commenter les rares incohérences mineures du film sans gêner les voisins. On peut même admirer la magnifique conjonction de la Lune et Saturne au-dessus de l’écran géant.
Deux heures, 165 moustiques écrasés à l’intérieur du pare-brise, 150 piqûres de moustiques chacun et l’impression d’avoir vécu une expérience unique plus tard, nous décidons qu’à minuit passé – la séance n’a bien évidemment pas commencé à 21 heures – nous n’avons pas l’énergie d’assister à un deuxième film. Si le ciné-parc avait été jumelé à un camping, pourquoi pas… Comme la moitié des véhicules présents, nous mettons les gaz à la fin du générique. À refaire quand même ? À refaire. Avec une moustiquaire.
Si nous étions restés à Shédiac, nous aurions pu aller à la plage Parlee non loin.
Infos pratiques
- anecdote linguistique : c’est le concept du ciné drive-in qui a donné naissance à celui de la restauration au volant, le « drive-in » tel qu’on le connaît en Europe. Qui s’appelle d’ailleurs « drive-through » de ce côté-ci de l’Atlantique, mais « drive-through », c’était vraiment imprononçable pour un public francophone.
- en parlant de manger, je suis vaguement déçue : j’imaginais que quitte à passer la soirée au volant, le site serait aussi équipé d’un service de restauration au volant (d’un drive-in dans un drive-in, donc. Suivez un peu, bon sang). Ce n’était pas le cas mais sachez que la plupart des cinés drive-in restent à flots grâce à la vente de petite restauration. Au ciné Neptune, on trouve des hot-dogs, des bretzels, des sodas… et du popcorn. Beaucoup de popcorn. Des sacs de popcorn gigantesques. Nous avons donc boulotté du popcorn toute la soirée.
- Je suis allée au Neptune Drive-In à Shédiac, 691 rue Main. Projections le vendredi, samedi et dimanche par beau temps en juillet-août.
- Tarif : 10 $/personne, 18 $ pour un couple, 25 $ pour une voiture complète. Plus d’informations ici.
- Arrivez relativement tôt si vous voulez choisir votre place.
- Soyez sympas et achetez au moins du popcorn pour soutenir le lieu.
- Trouvez comment faire tourner votre moteur sans les phares avant le début de la séance. C’est mieux pour tout le monde.
- Prévoyez de l’antimoustique ou une petite moustiquaire aimantée.
- Non, sérieusement. La moustiquaire. Pensez-y.
Si vous avez aimé cette chronique sur le Nouveau-Brunswick, voici d’autres expériences à découvrir :
- visiter Moncton
- visiter les parcs nationaux de Fundy et Kouchibouguac
- aller à la plage sur le littoral acadien
- faire du canot sur la Miramichi
- cueillir les pommes en automne
- assister à un powwow
Et vous, avez-vous déjà fait l’expérience d’un ciné drive-in ? Mon récit vous donne-t-il envie ? Je vous attends dans les commentaires !
J’adore ton article, c’est une expérience que j’adorerai vivre. Ça me rappelle bien entendu Grease et d’autres films américains, sauf que je n’ai toujours pensé qu’au côté glamour de la chose, jamais aux éventuels moustique et compagnie 😀 Grâce à toi me voila prévenue 😉
C’est sûr que dans les films, on ne voit jamais les gens se battre contre une armée de moustiques ! Je verrai ces scènes d’un autre oeil, désormais ! J’espère que tu auras la chance de pouvoir aller dans un drive-in toi aussi 🙂
Merci pour toutes ces images magnifiques, et ces textes toujours pertinents. Nous sommes toujours heureux de vous citer et de référer nos lecteurs à votre blog. gilles gagné, éditeur du Fil de presse de nouvelles du NB (NouvellesNB)
Merci Gilles pour les partages de mes chroniques, je suis touchée que mon blogue vous intéresse.
J’adore! ça parait tellement « exotique » pour nous autres européens! (et j’en profite pour dire que je lis tous les articles du blog même si je crois que c’est la 1ère fois que je commente!)
Merci Sabine pour ta fidélité et ton commentaire, j’espère que ce sera le premier d’une longue série 🙂
Très sympa cette anecdote estivale, qui fait forcément un peu rétro ! A Paris il y a plusieurs festivals de cinéma en plein air (mais sans voiture évidemment) et j’adore l’ambiance, voir le film sous les étoiles, pique-niquer avant, s’entortiller dans une couverture quand la fraicheur arrive. Ca vaut souvent plus pour l’expérience que pour ce qu’on retiendra du film, mais c’est pas grave. Ton récit donne bien envie en tout cas !
À Lyon aussi j’aimais aller au cinéma sous les étoiles, il y avait toujours un petit air de vacances à regarder un film dans une chaise de jardin. Ici aussi, des séances sont organisées, mais étrangement, j’y vais beaucoup moins, toujours rapport aux moustiques.
Ce concept de cinéma m’a toujours intriguée. Alors par contre le coup des moustiques, quelle horreur ! L’astuce des moustiquaires aux fenêtres est essentielle ! Et le son par une radio ce n’est pas un peu bizarre surtout quand on est habitué au son Dolby et compagnie !?
J’aurais dû préciser que le ciné en drive-in ne s’adresse pas du tout aux cinéphiles avertis qui veulent un son et une image impeccables, mais alors pas du tout 😀 Je n’ai pas trouvé le son pire que de regarder un film sur mon ordinateur portable, mais c’est sûr que ce n’est pas une immersion totale dans le son comme on peut l’avoir dans une salle classique !
[…] bonne habitude d’aller voir sur très grand écran du cinéma. À lire, c’est gratuit : https://arpenterlechemin.com/index.php/2019/07/31/canada-cinema-drive-in/ (photo : Audrey […]
Il faut peut être penser à bien laver son pare-brise aussi je suppose ?
Étant actuellement en train de me faire dévorer tous les jours dans le nord de l’Italie malgré l’anti-moustique, je ne peux que compatir à votre souffrance
Oui on a donné un coup de lave-glace avant la séance, en insistant un peu dans les coins à l’huile de coude ! J’avais oublié ce détail 😀 Bonnes vacances à toi au nord de l’Italie (dans les Dolomites ? ou plutôt vers les lacs ?) !
y a-t-il des films en francais?