Il y a sans doute assez peu de pays où je pourrais écrire autant d’anecdotes à part entière, où chaque instant pourrait valoir un billet à rallonge. Le Japon, mon fournisseur officiel de moments improbables et délicieux, où un rien peut nous faire basculer d’un séjour normal à une épopée linguistique ou pratique. Aujourd’hui, j’aimerais vous conter une journée de randonnée non loin de Kyoto, où nous avons découvert les jolis villages de Takao et Togano. Une journée toute simple en apparence : aller d’un point A à un point B, ça ne peut pas être sorcier, non ? Non ?
Couleurs de l’automne au Japon
L’histoire de notre virée à Togano est celle d’une improvisation totale. En rentrant de notre virée à la recherche des érables rouges du temple d’Eikando, passablement écœurés par la foule, Etienne s’en va chercher conseil auprès d’un Français à l’accueil de notre auberge de jeunesse (je vous en reparle à la fin de l’article, car c’est un bon plan !). Je tiens à signaler qu’il était Français pour insister sur le fait que nous avions une langue commune. Pas d’excuses pour la suite. Il nous conseille de nous éloigner du centre-ville et nous parle d’un arrêt de train perdu dans la montagne, d’un parc d’attraction abandonné et d’un village célèbre pour ses érables.
Nous n’avons jamais trouvé le parc d’attractions et il flottera toujours un doute sur le fait qu’on soit bien allés au village dont il nous a parlé, mais cette journée d’improbable en insolite reste la meilleure de notre séjour au Japon en novembre 2018.
Notre journée commence au milieu de nulle part. Plus précisément sur un pont. C’est l’arrêt Hozukyô, dont on a un peu de mal à imaginer quels villages il peut bien desservir, mais soit. Il y a une certaine poésie à se faire déposer littéralement entre deux montagnes, au-dessus d’une rivière, sans signes de civilisation en vue ou presque. On longe la route côté aval, suivant je ne sais plus quelles indications à moitié comprises. La rivière en contrebas nous envoie de temps en temps des embarcations remplies de touristes asiatiques qui font des signes de la main à ces Occidentaux qui marchent le long de la route, et on apprendra par la suite qu’il s’agit de « croisières pour admirer les feuilles d’automne », un concept que j’aime assez.
Ce que vous voyez à gauche, c’est bien la gare suspendue d’Hozukyo. Normal.
Au détour d’un virage, une carte nous signale un sentier de randonnée qui bifurque à gauche. Le choix est vite fait : c’est ce sentier qui s’évanouit à plat ou la route qui remonte. Tout est en japonais, mais qu’à cela ne tienne : ce sera toujours plus intéressant que de longer la route. C’est la plongée dans un grand inconnu, nous ne savons pas où nous allons, comment nous en reviendrons. J’ai une foi totale en mes cinq mots de japonais rescapés de cours du soir il y a dix ans.
Nous croisons quelques marcheurs vaguement ébaubis de nous voir surgir dans l’arrière-pays kyotoïte, traversons un village perdu aux couleurs somptueuses (peut-être Sagakiyotakicho ? Le doute persiste à ce jour). Une dame s’inquiète en anglais de notre équipement basique – c’est sûr qu’avec nos Converse et nos jeans, on fait tache au milieu des randonneurs japonais suréquipés pour ce sentier quasi plat. Je ne sais pas qui est le plus stupéfait : elle de nous voir marcher sans matériel, ou nous d’être accostés dans une langue autre que le japonais. Un autre village, une autre carte, la perspective d’un temple, on continue.
Nous mangeons notre pique-nique au soleil, sur de gros rochers au milieu du torrent. Onigiri et pain au thé vert, peut-être des mochi. Nous n’avons pas encore de gourde isotherme pour nous préparer des ramen instantanés au bord du chemin comme les autres. Les randonneurs nous ignorent poliment mais on sent quelques questions qui se perdent. Nous verrons un seul et unique Occidental. Est-il perdu lui aussi ? Sait-il où il va ? Pourquoi n’avons-nous pas engagé la conversation ? Que la vie doit être triste quand on sait exactement où on va dans un pays dont on ne parle pas la langue…
Soudain, un pont suspendu, des lanternes, des érables. C’est Takao, c’est minuscule, c’est beau.
À Takao, nous renouons avec la civilisation. Les randonneurs se font plus nombreux. Nous remontons leur courant, remontons un escalier et soudain, c’est un véritable village à flanc de colline : Togano, peut-être (sous sa forme longue : Ume-ga-hata Toganoo-chō). Des autocars, des voitures, la civilisation était cachée sur les hauteurs. Je ne me rappelle plus pourquoi, mais nous ne nous arrêtons pas là. J’ai probablement dû insister pour aller voir un temple classé à l’Unesco, je suis maniaque des temples depuis que nous sommes au Japon.
Après deux ultimes kilomètres, nous voilà arrivés au Kôzan-ji. C’est notre objectif, cela a peut-être été toujours notre objectif, et c’est un ravissement. Je ne sais pas si nous avons tout compris, la visite est très rapide. Nous admirons le tout premier manga et nous nous asseyons sur la coursive, comme les autres visiteurs, en silence, pour admirer la montagne multicolore en s’imaginant être un moine voilà plusieurs siècles.
Nous sommes fourbus. Nous sommes émerveillés. Nous sommes hébétés. Nous ne savons pas où nous sommes – je l’apprendrai en retraçant notre périple sur une carte. Peut-être même que je pense être allée à Takao et Togano, et qu’en fait, pas du tout.
J’aimerais vous dire avec précision comment nous en sommes revenus, mais c’est impossible. Nous en sommes revenus, c’est un fait, nous ne sommes (bien malheureusement) pas toujours coincés à Togano, à errer de merveilles en merveilles. On a pris un bus au pif, on est descendus à un arrêt au pif devant un temple, on a marché dans une vague direction déterminée par la mousse sur les maisons et la hauteur du soleil et on a fini par retomber, par miracle, sur la bonne ligne JR. Si vous faites pareil que nous, mais mieux que nous, vous tomberez peut-être sur Arashiyama et sa sublime forêt de bambous. Bon courage, moussaillons, et n’oubliez pas que les meilleurs voyages sont faits d’impromptu.
Infos pratiques
Aller à Takao et Togano sur nos traces : prendre la ligne JR Sagano/San-in et descendre à l’arrêt Hozukyô. Impossible de le rater : c’est probablement la seule gare sur un pont entre deux montagnes. Ensuite, descendre la route vers l’aval (côté droit du pont), tourner sur la gauche quand vous verrez un sentier et des panneaux, et remonter la rivière. À la louche, vous en avez pour 10-15 kilomètres avant d’arriver à Takao. Ne vous perdez pas, je ne suis pas responsable. Sinon, souscrivez à une assurance voyage pour le Japon.
Revenir de Takao et Togano sur nos traces : voir le dernier paragraphe du récit. Je n’ai vraiment pas d’autres indications à vous donner. Parler japonais peut aider.
Où dormir à Kyoto
- Guest House Hachi, 00-8828, Kyoto, Shimogyo Ward, Shimogyo-ku Nishishinyashiki Ageyacho 46-3. Un minuscule établissement qui propose dortoirs et chambres privées, une petite salle commune, non loin de la gare de Tambaguchi, à un arrêt de la gare centrale et sur la ligne pour Arashiyama. Le personnel est international et parle anglais. Location de vélos possible En dortoir, nous avons payé 3 9 00 yen par personne et par nuit, soit 33 € / 48 CAD, et j’ai trouvé que c’était un bon rapport qualité-prix.
- Voici une autre option que j’avais repérée : Gojo Guest House, un autre bed and breakfast.
À noter, il est théoriquement possible de dormir à Osaka, à environ 50 km, où les logements sont légèrement moins chers, et de faire des allers-retours avec le JR Pass. Pour ma part, je pense qu’économiser des bouts de chandelle ne vaut pas le fait d’endurer entre 1 h et 2 h de train chaque jour. À vous de voir !
Pour les infos pratiques sur Kyoto en général, je vous invite à relire mon billet sur les feuilles d’automne à Kyoto. Si vous voyez des erreurs sur les noms de cette randonnée dans l’improbable, je vous prie de m’en excuser – je rectifierai à la demande.
Et vous, vous avez déjà fait des randonnées à l’aveugle comme ça ? Vous connaissez les villages que nous avons traversés près de Kyoto ? Je vous attends dans les commentaires ! Oyez, oyez. Ce billet contient des liens affiliés.
Splendide ! J’ai eu l’occasion de faire une balade improvisée un jour, au Japon, je n’avais pas beaucoup de temps (j’étais en tournée avec l’Orchestre, je n’avais qu’une longue 1/2 journée), et je me suis retrouvée ailleurs que là où j’avais prévu d’aller… mais je m’étais régalée. Malheureusement, ce n’était ni la période des érables ni celle des cerisiers !
J’ai l’impression que beaucoup de balades au Japon se terminent en improvisations 😀
Ralala tu vas me donner envie d’aller au Japon en automne maintenant ! C’est superbe !
Si tu te cherches des destinations pour le mois de novembre, le Japon et la Corée du Sud sont incroyables !!
J’aime beaucoup ce récit d’une balade impromptue ! On a eu notre moment aussi à se perdre dans la banlieue de Kyoto entre Kokedera et Arashiyama… On a traversé un quartier tout à fait ordinaire et atterri dans une petite cantine qui ne payait pas de mine. Un moment fait de tous petits riens mais avec l’impression d’une aventure unique malgré tout…
Ne pas parler la langue d’un pays décuple l’impression d’aventure ! J’imagine bien la tête des proprios et des clients en vous voyant débarquer…
Cet article est magique, tu m’as fait bien rire !!!!! J’adooooore les infos pratiques, ça invite au voyage et à l’aventure c’est sûr… Se perdre en voyage, ce sont souvent les meilleurs souvenirs. Et tes photos sont tellement belles qu’elles ne donnent qu’une envie. Se perdre dans des coins japonais exactement comme toi 😀 😀 😀 !!!!
Contente de t’avoir fait rire ! En y repensant, c’est vraiment pour ce genre de moments que je voyage, même si je laisse finalement assez peu de place à l’improvisation en temps normal…
J’adorerais voir le Japon sous ton objectif !
J’ai adoré ton article. Je me susi tout à fait mis à ta place dans la découverte, l’émerveillement et dans le choix de l’arrêt de bus au pif au retour. Pour mon prochain voyage au Japon, tu m’as vendue du rêve 🙂
Tout est magnifique et le côté imprévu est très sympa en voyage pour peu qu’on ne tente pas le diable dans des zones super craignos genre en conflit local évidemment. J’adore cette petite gare perdue sur un pont et dans les montagnes !
J’adore votre façon de raconter.
Tout cela me fait penser à ce qui devait être une simple ballade dans les Vosges pour voir des châteaux, que nous n’avons jamais trouvés.
Nous étions avec des amis et le chemin étant étroit, chacun suivait celui devant lui et tout devant, il y avait le chien.
Au bout d’un moment j’ai demandé pourquoi le premier n’avait pas tourné vers le château comme indiqué…. Il avait suivi le chien !
Nous n’avons pas fait demi-tour, à l’aise sur le chemin très agréable. Nous sommes passés sous un rocher d’où un lynx (le seul lynx sauvage que j’ai vu) nous regardait tranquillement passer.
Nous avons fini par retrouver nos voitures, et nous avons passé une bonne journée sans le stress d’un chemin à suivre.
Comme j’ai ri ! Il m’est déjà arrivé de faire des balades où chacun pensait que les autres savaient où ils allaient mais suivre le chien, c’est encore mieux 😀
Préparant mon séjour à Kyoto fin novembre de cette année je suis tombé par un tres heureux hasard sur votre site. Cela m’a donné envie d’en savoir plus sur cet endroit qui a l’air magnifique…et surprise il semble qu’il suffit de 45 minutes de bus JR depuis la gare de Kyoto pour arriver à Togano et au temple Kozan-ji! et (toujours selon le site Rome2Rio) 220 de marche entre le fameux arret sur un pont et Togano. La balade doit valoir le détour (et je ne parle même pas de l’arret de train « suspendu ») mais il y a plus rapide et plus de temps disponibles pour ces 2 villages (Takao et Togano). En tout cas merci car ceux sont des villages que ,sans votre site, j’aurai ignoré tout simplement l’existence.
Merci Didier pour votre commentaire, je suis ravie de vous avoir donné des idées de visites autour de Kyoto !