Ce mois-ci, j’ai l’honneur d’être la cheffe d’orchestre du rendez-vous interblogueur EnFranceAussi, sous l’égide de Sylvie du blog « Le coin des voyageurs », et j’ai évidemment choisi pour thème « Gothique« . Comme je l’expliquais dans mon petit « manuel du voyage gothique » l’an dernier, un voyage gothique, c’est un voyage dans les brumes de l’imaginaire, à la rencontre d’une ambiance souvent sombre et mélancolique, dans des lieux en ruines, des lieux qui touchent à la mort, des lieux chargés de magie ou de légendes. Catacombes, beaux cimetières, maisons à l’abandon ou musée sur des sorcières, voilà des composantes de ces voyages que n’auraient pas renié les Romantiques du XIXe siècle, à la recherche d’une esthétique torturée, de la déréliction sublimée, à la recherche d’une atmosphère, d’un imaginaire avant tout. Aujourd’hui, je vous emmène sur deux lieux que je trouve chargés d’une ambiance incroyable en Haute-Savoie : les gorges du Pont du Diable, à la Vernaz et les ruines de l’abbaye d’Aulps, à Saint-Jean-d’Aulps.
Les gorges du Pont du Diable
Impossible de faire plus légendaire que le Pont du Diable ! Ce site mystérieux se cache au détour de la D902 entre Thonon-les-Bains et Morzine, en Haute-Savoie, et impossible de deviner de quoi il retourne à moins d’oser descendre dans ces gorges spectaculaires. La visite commence par une promenade qui descend dans une forêt enchantée. Mousses et fougères sont de sortie, l’ambiance est encore au conte de fée. Des farfadets se cachent-ils sous des champignons dodus ? Ou des fées dans les creux de feuilles tendres de ce début avril ?
Au bout de 10-15 minutes de marche, on arrive à une cabane avec des panneaux d’interprétation. Il est temps d’oser se lancer dans les gorges. Ce n’est pas qu’une question d’oser pénétrer dans la gueule du loup (ou du diable…) : l’accès aux gorges se fait par un petit escalier en bois vertigineux et même si je n’ai aucun doute sur la sécurité des installations, qui reçoivent plus de 50 000 visiteurs chaque saison – c’est d’ailleurs la deuxième attraction en Haute-Savoie ! L’accès par cet escalier étroit et sombre ne fait que mettre en valeur le côté vertigineux des gorges. J’ai d’ailleurs pris très peu de photos au format « paysage » : ici tout est vertical, les escaliers, les parois moussues, les arbres qui les couronnent. L’imagination s’envole en suivant leurs lignes de fuite. En quittant la forêt pour ce paysage minéral, on quitte le conte de fée pour passer dans un lieu de cauchemar.
Quelques dizaines de marche plus bas, on émerge d’un boyau sombre et en ouvrant les yeux, c’est l’éblouissement littéral et métaphorique : chaos rocheux, torrent qui rugit loin en contrebas, roches acérés comme des gueules béantes. Les gorges à proprement parler sont assez courtes et on arrive assez vite à l’endroit qui anime notre envie de légendes : un passage des gorges qui mêle parois en draperies couvertes de mousse verte qui plongent dans une eau turquoise, marmites de géants et le fameux pont du diable. Tout un condensé de légendes en quelques mètres, et il est assez facile d’imaginer pourquoi les gens d’avant virent la marque du Malin et de créatures surnaturelles dans le lit de la Dranse de Morzine.
Selon la légende, le pont du diable (que vous voyez ci-dessous) n’a rien de naturel. Les habitants du Jotty et de la Forclaz souhaitaient relier leurs deux villages par un pont, sans succès. Ils firent donc appel au diable, comme tout un chacun c’est parfaitement normal, pour construire ce pont. Évidemment, il devait y avoir une compensation pour ce travail effectué : le diable s’emparerait de l’âme de la première personne à le franchir. Vous vous en doutez, les villageois roublards firent traverser une chèvre. Le diable ne fut pas emballé, et jura de se venger. On attend toujours sa vengeance (peut-être est-ce les hordes de touristes qui font des bouchons sur nos routes les week-ends de départ en vacances, qui sait…). J’ai l’impression que c’est une légende qui n’est pas propre à la vallée d’Aulps et que chaque région en a une version. En tout cas, le rocher qui tient en équilibre faussement précaire est impressionnant, et je me suis hâtée de passer en dessous.
Une fois le pont passé, c’est l’affaire de quelques dizaines de mètres et la visite se termine déjà ! Comme je le disais, les gorges sont impressionnantes mais assez courtes. Lors de ma visite, nous étions talonnées par une horde de lycéens écossais assez bruyants et avons dû presser le pas. Mais lors des moments où nous étions seules, nous avons pu apprécier le chaos sublime de ces gorges creusées à la patience de l’eau, en sentant flotter comme un petit parfum de légende derrière les recoins de la roche.
Infos pratiques
- 205 route des Grandes Alpes (D902) – Lieu dit « Le Jotty » 74200 LA VERNAZ
- Ouvert tous les jours d’avril à octobre (dates à confirmer chaque année), de 9-10 h à 18 h
- Tarifs : 10,5 €/adulte, 9 €/jeune de 15 à 20 ans, 8 €/enfant de 5 à 14 ans
- Voyage #teamSansVoiture : le site est accessible par autocar sur la ligne LIHSA 91 entre Thonon et Morzine
- Plus d’infos sur le site web ici
L’abbaye de Saint-Jean-d’Aulps
Les puristes vont sûrement froncer les sourcils… ces ruines CISTERCIENNES, comment osé-je les intégrer à une chronique sur le voyage GOTHIQUE ? Sacrilège ! Mais comme je le disais en introduction, il ne s’agit pas tant de rechercher l’exactitude architecturale ou littéraire (même si une belle cathédrale gothique ou un beau roman gothique, c’est époustouflant) qu’une ambiance propice à l’imagination. Et je trouve que les ruines d’édifices religieux ont le pouvoir de laisser notre imagination combler ce que leurs bâtiments ont perdu avec le temps.
L’abbaye d’Aulps (prononcez tout simplement « d’o ») a des siècles d’histoire derrière elle. Fondée au XIe siècle, elle devient rapidement une abbaye cistercienne, nichée dans la solitude contemplative des montagnes du Chablais. Si elle en ruines à présent, ce n’est pas la marque d’un cataclysme ou d’une vengeance diabolique (rapport au pont, tout ça) mais celle du sillage de la Révolution française. Le village de Saint-Jean-d’Aulps appartient alors au royaume de Sardaigne, qui a absorbé les États de Savoie. Mais en 1792, les troupes françaises passent la frontière et viennent dresser l’inventaire des cellules des moines érudits qui occupent encore l’abbaye. Après avoir servi un temps à loger des soldats français par crainte d’une offensive piémontaise, l’abbaye finit par être saccagée par les villageois, qui viendront se servir de l’abbaye comme d’une carrière pour reconstruire une église, empierrer des routes ou construire des maisons.
Malgré la violence de la fin de l’abbatiale, il ne flotte pas de parfum de destruction dans l’air. Peut-être parce que juste en contrebas, un jardin monastique est bien vivant, lui. Peut-être parce que deux façades de l’abbatiale sont encore debout. Il y flotte plutôt de la nostalgie, et les rosaces vides de la façade principale semblent exprimer une certaine surprise à être encore ici, à regarder les montagnes. Les ruines sont toujours l’incarnation du temps qui passe ; l’époque victorienne, obsédée par la mort, en était friande ; les ruines et la déréliction étaient des symboles à l’esthétique forte, et le sont restées à l’heure actuelle. Je crois que je n’échappe pas à cette mélancolie à a vue de ruines à demi écroulées, touchantes dans leur fragilité, quand bien même elles seraient encore debout depuis près de deux siècles, comme cette abbatiale qui défie le climat des montagnes depuis la fin du XVIIIe siècle.
Juste à côté de l’abbaye, l’ancienne ferme monastique abrite désormais un musée qui retrace la vie des moines, des informations sur l’ordre cistercien, mais aussi sur l’histoire de la communauté monastique liée à celle de la Savoie et (ma partie préférée), une tisanerie sur les plantes médicinales d’hier et d’aujourd’hui. Le musée abritent aussi des expositions temporaires, et j’ai eu la chance de voir une exposition sur les plantes magiques, avec les sublimes illustrations d’Elodie Balandras. Tout ce que j’aime ! L’expo est malheureusement terminée mais l’abbaye organise souvent des expositions et animations en lien avec l’histoire et les plantes.
La visite est terminée. Le Pont du Diable et l’abbaye d’Aulps sont deux sites proches, à seulement 10 km l’un de l’autre. Comptez une dizaine de minutes en voiture. N’hésitez pas à aller déjeuner à Saint-Jean-d’Aulps, voire un peu plus loin, à Morzine, village de toute beauté. Vous y trouverez aussi des hébergements si vous ne souhaitez pas dormir au bord du lac Léman.
Réservez votre hébergement à Saint-Jean-d’Aulps ou Morzine
Infos pratiques
- Accès depuis la D902 à 25 km de Thonon ou 7 km de Morzine
- Ouvert tous les jours du 15 juin au 15 septembre de 10 h à 19 h, le reste de l’année du dimanche au vendredi de 14 à 18 h.
- Tarifs : 7 €/adulte, 3,5 €/enfant de 6 à 16 ans
- Voyage #teamSansVoiture : le site est accessible par autocar sur la ligne LIHSA 91 entre Thonon et Morzine
- Plus d’infos sur le site web ici
Si ce billet vous a plu, je vous invite à consulter à la fois mes archives sur le voyage gothique et sur la Haute-Savoie, dont voici quelques aperçus :
- Les catacombes de Paris
- Visiter Annecy sans voiture
- Le vieux cimetière juif de Prague
- Visiter Nernier et Yvoire, sur les rives du lac Léman
- Evian-les-Bains, que voir en une journée
Et vous, connaissez-vous le pont du Diable de Haute-Savoie ou l’Abbaye d’Aulps ? Est-ce que cette chronique vous donne envie de venir ? Je vous attends dans les commentaires ! Oyez, oyez. Ce billet contient un lien affilié.
Les images sont magnifiques, merci pour la balade!
Merci à toi Anne !
Je ne connaissais pas du tout ces deux endroits. Les gorges ont l’air sublime, mais je comprends que ca doit être assez pénible de les visiter quand il y a beaucoup de monde (j’avais fait une visite un peu similaire en Slovénie, c’était très beau mais il fallait y aller tôt le matin pour vraiment profiter du paysage et de l’atmosphère!). J’aime beaucoup les Abbayes en ruines (j’ai choisi d’en parler d’une en Normandie) et je ne connaissais pas du tout celle ci (je connais très mal la Savoie) mais elle a l’air particulièrement belle !
C’est dommage, car à une classe de collégiens près, on était dans la visite parfaite. J’adorerais y retourner par un temps maussade, dans la brume… J’ai hâte de voir ton abbaye normande !
C’est vrai que déjà de base le nom du Pont du diable se prête au thème! Les gorges sont sublimes (d’ailleurs je me demande si je ne les ai pas visitées enfant…). Coup de cœur aussi pour les illustrations de l’exposition; elles sont magnifiques!
C’était une occasion en or d’en parler (pas que j’aie vraiment besoin d’occasions pour parler de ponts du diable et de ruines, mais tu vois ce que je veux dire !). J’ai adoré le travail d’illustration sur les plantes « magiques », ça collait parfaitement avec l’esprit de ma visite !
Ah ton article est un tel régal ! La Haute Savoie, c’est sublime…
Toi qui as tant aimé Morzine, cela ferait une base parfaite pour explorer ces endroits magiques !
Superbe! Ayant habité les Savoie je n’ai pas eu l’occasion de découvrir ces deux endroits… mais je compte bien y remédié dès le retour de la belle saison l’année prochaine ! 🙂
Merci Pierre ! J’espère que tu auras l’occasion de les découvrir prochainement.
Tout me donne envie, les gorges sont magnifiques et l’abbaye semble faite pour un décor de cinéma. Je trouve juste la prononciation de son nom terriblement décevante.
Haha ! Saint-Jean-« d’Aullpse » sonne terriblement « touriste » à mes oreilles aguerries 😉
Superbe ! Des ponts du diable, il y en a, c’est vrai, un peu partout. Mais à Bidarray, c’est le pont d’enfer : on dit que le diable s’est jeté du pont dans la Nive car il n’arrivait pas à apprendre le basque… et ce seraient les Laminaks (esprits de la nature, qui prennent diverses formes en fonction du conteur !) qui ont construit le pont… Après la lecture de votre page, je n’ai qu’une envie, venir marcher dans ces gorges et découvrir l’abbaye ! Merci.
J’adore cette anecdote sur le diable et la langue basque ! C’est rare que les légendes montrent le diable se laisser aller au désespoir 😀
Avec les Basques, il ne faut s’étonner de rien…
Super, je ne connaissais pas du tout pourtant je suis passée non loin plusieurs fois ! J’ai une grosse préférence pour le pont du diable !
Je t’invite à t’y arrêter lors d’une prochaine visite !
Je connais bien cette région pour y avoir passé toutes mes vacances d’été étant jeune. Mais nous ne sommes jamais allés à cet endroit. Moi qui compte y retourner un jour prochain, je note que je dois faire ce détour incroyable !
Oh, je suis ravie de voir que tu connais la région et mieux encore, que tu y as des souvenirs d’enfant !
Des ruines, des légendes et des frissons ! Parfaite balade pour la saison !
Il va faire un temps de chien cette semaine, j’ai presque envie d’y retourner juste pour voir l’abbaye dans les brumes !
Je n’en attendais pas moins de cet article! Deux histoires passionnantes sur des lieux magnifiques qui te ressemblent (pas que tu sois diabolique ou vieille ruine là)! Bref, je crois que tu as compris. 😉
Haha tu m’as fait mourir de rire !! Je serai sûrement une vieille ruine diabolique dans mon grand âge 😀
Magnifique! Merci Audrey pour cette très très belle balade.
Merci Sabrina !
très belle ambiance en effet! Passionnant!
Merci !
Très belle balade ! J’ai vu ces merveilles quand j’avais une dizaine d’année, ton article me rappelle de chouettes souvenirs.^^
Ravie de t’avoir rappelé de bons souvenirs !
Entre ces gorges diaboliques et cette abbaye en ruine, c’est une bien belle balade que tu nous proposes. Ce pont du diable est sur ma liste de choses à voir depuis un certain temps, tes photos me donnent encore plus envie d’y aller !
Tant qu’à y aller, je t’encourage à choisir un petit matin brumeux, pour une ambiance encore plus lugubre 😉
Il y a tellement de beaux endroits à visiter en France, on pense parfois à se tourner vers d’autres destinations alors qu’il y a beaucoup de superbes sites à voir. Le lieu que vous présentez est vraiment magnifique.
Ces gorges ressemblent beaucoup aux gorges du Fier près d’Annecy et pourtant ce ne sont pas les mêmes. J’adore cette magnifique ruine, en plus dans un cadre aussi verdoyant et montagneux. On pourrait se croire en Ecosse ou en Angleterre. Il faut que j’aille la voir.
J’ai visité les gorges du Fier voilà bien longtemps, tu me donnes une idée pour ma prochaine venue en Haute-Savoie !
Maintenant que tu le dis, c’est vrai qu’il y a un petit côté écossais à ces photos. Mais en personne, avec les cloches de vaches et l’architecture montagnarde, on est bien en Haute-Savoie, aucun doute possible !
J’adore ce type d’endroit, c’est juste superbe !
Je suis allée visiter les gorges du Diables l’année dernière ! C’était vachement cool et assez impressionnant ! J’ai beaucoup aimé la foret autour aussi 🙂