Les cimetières sont des lieux à part, qu’on soit en voyage ou chez soi. Après tout, c’est là que l’on fait le fameux dernier voyage qui nous attend tous, et qui ne peut pas susciter l’indifférence. Si vous me suivez depuis un moment, il ne vous aura pas échappé que je suis taphophile, à savoir que je nourris un intérêt prononcé pour les cimetières. Ce ne serait pas un peu morbide, tout ça ? Au contraire, les stèles et autres ornements en disent long sur la vie de ceux qui se reposent à présent, et sur les vivants qui les entouraient. Les cimetières font souvent partie de mes incontournables en voyage et si tous les lieux mortuaires ne sont pas aussi impressionnants que les Catacombes de Paris, la visite est toujours intéressante. Aujourd’hui, je reviens sur un des cimetières qui m’a le plus marquée : le vieux cimetière juif de Prague, le plus vieux cimetière juif au monde.
Prague fait partie de ces villes d’une ambiance gothique insensé, où on s’attend à voir des légendes prendre vie à chaque coin de rue dans une atmosphère de conte maléfique. Le vieux cimetière juif est d’ailleurs étroitement lié à la légende du Golem, sur laquelle je vais revenir dans une minute.
Mais avant cela, la réalité mérite qu’on s’y attarde. Je vous disais que je trouve que les tombes ont toujours des histoires à raconter. Sachez que dans ce cimetière du XVe siècle, où la tombe la plus ancienne encore debout remonte à 1439, on compterait plus de 12 000 tombes. Douze mille tombes. Cent mille morts. C’est ce vertige funéraire qui revient de la façon la plus nette quand je repense à ma visite. Douze mille personnes enterrées ici. Elles doivent en avoir, des choses à raconter, depuis cinq siècles. Je suis chagrinée de ne pas pouvoir lire les inscriptions en alphabet hébraïque pour avoir au moins quelques éléments sur les personnes qui reposent là, un nom, une date, n’importe quel indice – mais le chaos global des lieux est suffisamment parlant.
Imaginez des centaines, des milliers de tombes enchevêtrées. C’est un vilain lieu commun, des « tombes enchevêtrées ». Mais ici, je vois difficilement comme dire autrement. C’est le capharnaüm. Les tombes se penchent les unes vers les autres, concentrées dans un désordre d’une densité inouïe. Les tombes sont littéralement entassées les unes sur les autres : la religion juive interdirait de supprimer une tombe existante, et c’est ainsi que les tombes finissent par se chevaucher, parfois jusqu’à douze épaisseurs. Dans le cimetière, nous marchons sur les morts, enfouis toujours plus profond à mesure qu’on ajoute de la terre pour ajouter d’autres sépultures.
Cette pénurie de place s’explique par l’emplacement du cimetière, dans l’ancien quartier juif de Prague, Josefov. Les Juifs vivent dans un ghetto muré dans la vieille ville de Prague. Les pogroms ont toujours été monnaie courante en Europe, et les Juifs se concentrent dans leur quartier qui les isole (et les protège) du reste de la ville. À l’époque où le cimetière est créé, autour de 1430, le quartier s’apprête à connaître une période de prospérité qui culmine sous le mandat du maire juif Mordekhaï Maisel, d’ailleurs enterré ici avec faste, et dont on peut toujours admirer la tombe.
Autre illustre résident du cimetière, Yehouda Levaï ben Betzalel, alias le rabbin Loew, mythique créateur du Golem. Comme tout érudit qui se respecte au XVIe siècle, il est versé dans le mysticisme et l’alchimie et on dit de lui qu’il aurait créé une créature d’argile, dépourvu de libre-arbitre et de voix, dont l’existence n’a de sens que dans la protection de son créateur, qui lui insuffle vie en inscrivant un mot sur sa tête d’argile et la lui retire en effaçant une partie de ce mot : d’EMET (la vie), il suffit d’une lettre pour passer à MET (la mort).
La légende veut qu’il ait été créé par le rabbin Loew pour protéger la communauté juive des pogroms. Et comme de bien entendu, il finit par échapper à la vigilance de son créateur (ça ne vous rappelle pas un autre mythe, qui implique de l’argile, un Créateur, une créature dépourvue de raison et qui finit par foutre le feu à la planète ?). De bon gros géant bienveillant, il devient une créature incapable de discernement. Pour parachever le mythe, le Golem inanimé serait toujours conservé quelque part à Prague…
Je n’ai pas de photo de la tombe du rabbin Low, ni d’autres tombes en particulier (complètement inexplicable !! Mais où avais-je la tête ??). Ici comme au Père-Lachaise, on trouve des personnalités restées dans l’Histoire comme Mordekhaï Maisel ou le rabbin Loew, mais aussi, et surtout, des tombes de gens normaux. Les tombes décorées sont toujours intéressantes, mais je trouve souvent plus d’intérêt aux petites tombes moussues, aux gens communs, ceux qui n’ont pas eu les honneurs, dont la tombe est illisible mais dont la vie aura, peut-être, compté pour quelqu’un. Dans les cimetières juifs, pas de fleurs mais des petits cailloux déposés sur les stèles. Ce petit témoignage de respect suffit à faire basculer ce lieu autrement impressionnant pour lui donner une dimension intime : une personne vivante qui en salue une autre, morte depuis quatre siècles.
Le cimetière n’est plus en activité depuis 1787, mais trois siècles ont suffi à en faire un endroit complètement à part, niché entre les murs du Musée juif de Prague, dans une bulle qui semble hors de la ville. Il se visite aujourd’hui en partie, selon une visite assez balisée. Pas question de déborder sur les tombes ni de prendre la visite à rebrousse-poil. Pour autant, la visite est marquante, que vous soyez taphophile ou non.
Infos pratiques
- entrée comprise avec celle du Musée juif de Prague, Široká 3, 110 00 Praha 1.
- entrée : 175 czk/adulte, soit environ 7 €/10 $
- ouvert de 9 h à 16 h 30 ou 18 h selon la saison. Plus d’informations ici. Fermé le samedi et pendant les fêtes juives.
- il est très facile de visiter le lieu par soi-même mais si vous préférez, vous pouvez aussi opter pour une visite du quartier juif avec un guide francophone.
- En passant par ce lien, vous pouvez réserver votre hébergement à Prague et me donner un coup de pouce financier !
- ma visite remonte à 2011 et je ne sais pas si ce lieu est désormais très fréquenté, mais peut-être pourrez-vous l’indiquer dans les commentaires ?
Pour me rafraîchir la mémoire, je me suis aidée des blog suivants, que je vous conseille vivement :
Si vous avez aimé cette chronique, n’hésitez pas à fouiller dans mes archives de voyage gothique :
- Les catacombes de Paris
- Road-trip en Nouvelle-Angleterre avec détour à Salem
- Le palais des papes à Avignon
- Le guide du voyage gothique
Et vous, avez-vous déjà visité ce cimetière ? Avez-vous apprécié la visite ? Je vous attends dans les commentaires. Oyez, oyez. Ce billet contient des liens affiliés.
Que j’aime cet article ! J’ai zappé Prague dans mon itinéraire de Blitztrip, car j’ai plein de préjugés sur cette ville, notamment le fait qu’elle soit bondée de touristes… mais je crois que ça me plairait bien, surtout s’il y a un beau cimetière comme ça, imprégné d’histoire et de légendes. Je m’interroge sur ce qu’il est advenu du cimetière pendant la 2è guerre mondiale, tu en sais un peu plus ? Bien gothiquement à toi 😉
Le blog Cimetières de France et d’ailleurs indique que le cimetière a été épargné par les Nazis pour des raisons sordides : ils comptaient en faire un musée après avoir éradiqué les Juifs. Si c’est bien le cas, c’est un motif bien sinistre qui a néanmoins contribué à protéger toutes ces tombes.
Je comprends que tu aies privilégié des villes moins courues pendant ton blitztrip. Il faudrait probablement y aller en novembre ou en février pour ne pas trop souffrir du surtourisme. L’ambiance doit être exceptionnelle hors saison, cette ville est faite pour les brumes de l’imaginaire !
J’avais adoré cette visite ! L’entassement des tombes est assez déroutant au début, mais avec un peu d’histoire on comprend mieux le pourquoi du comment !
Waouh, c’est plutôt impressionnant. Ça me ferait plaisir de prendre le temps de visiter cet endroit. En tout cas, je trouve que c’est une sortie et une découverte originale. Merci pour ce beau partage.