Les Alpes ne manquent pas de beaux oiseaux. On y croise toute sorte de volatiles, des plus banals comme les corneilles et les pinsons, jusqu’aux plus locaux : les buses, les faucons pélerins dont on peut d’ailleurs observer la migration à Thollon-les-Mémises ou les choucas, ces corneilles des cimes, friandes de pique-niques sur les sommets. Avec un peu de chance, vous verrez même le tétra-lyre, aussi appelé grand tétra, célèbre pour sa queue en forme de roue. Ce mois-ci, le thème du rendez-vous interblogueur #EnFranceAussi, créé par Sylvie du blog Le Coin des voyageurs est l’ornithologie, à l’initiative d’Annabelle de Matante A, j’avais envie de vous parler des colombes d’Abondance.
Si on parle bien de volatiles, ne croyez pas que vous pourrez les croiser au détour d’un sentier : elles se cachent surtout dans les ateliers de quelques artisans qui perpétuent une tradition confidentielle nichée au creux de la vallée d’Abondance et du plateau de Gavot, sur les contreforts des Alpes françaises, en Haute-Savoie. En voilà des oiseaux rares…
Les colombes d’Abondance, ce sont deux morceaux d’épicéa assemblés pour figurer un oiseau en plein vol. Ne vous laissez pas berner par la fausse simplicité des matériaux. La fabrication est incroyablement longue : le bois est laissé à tremper des heures durant pour l’attendrir, et il faut ensuite le sculpter avec toute la minutie du monde. L’épicéa, si courant dans les montagnes, se prête parfaitement à cet art : tendre et facile à sculpter, il est le bois rêvé pour cette création d’une délicatesse inouïe.
Pour l’artisan, pas de meilleur outil que l’Opinel, le couteau savoyard par excellence – en Aveyron, il y a le Laguiole, et dans les Alpes, on a l’Opinel. Ce couteau savoyard a vu le jour en 1890 à Gevoudaz, en Savoie, inventé par Joseph Opinel. On le reconnaît à la main couronnée qui orne sa lame, symbole du duché de Savoie, et à la virole qui permet tantôt de bloquer la lame, tantôt de la ranger dans le manche en bois. L’Opinel, c’est le couteau des alpages, celui qu’on a sur soi pour pique-niquer en montagne, et foi de Savoyarde, rien ne coupe autant qu’un Opinel. J’en ai d’ailleurs toujours plusieurs modèles de toutes tailles chez moi, de la lame de 40 cm au mini-couteau de poche.
Mais l’outil ne fait pas le moine : il faut aussi le savoir-faire, cette habileté qui donnera vie à un bel oiseau, celui aux ailes les plus fines, les plus délicates. Chaque oiseau est sculpté à la main, du bec aux plumes les plus fines. Le moindre faux pas est fatal : une plume qui casse, et tout est à recommencer.
Cet artisanat trouve sa source dans les longues soirées d’hiver ou les journées aux alpages. C’est que les distractions étaient rares, et la vie difficile, dans l’ancien temps. On transmet cet art de père en fils, dans les sphères de montagnards. Les colombes de paix sont un art masculin, l’art des bergers et des alpages, né d’un milieu rude où les occasions de laisser libre cours à sa créativité n’étaient pas légion.
Les bergers veillaient au coin du feu ou surveillaient leurs troupeaux tout en sculptant ces petits oiseaux qui finissaient souvent accrochés au-dessus de la cheminée, délicatement suspendus à un fil pour se balancer au moindre mouvement dans la pièce. On raconte qu’en tournant sur lui-même, l’oiseau répand la paix dans toute la maison.
Car les colombes d’Abondance sont plus que deux morceaux d’épicéa. Ce sont des odes à la patience qui s’apparentent à de la dentelle de bois. Ce sont des porte-bonheur – si leur corps ne rappelle pas forcément une colombe, leur nom ne laisse planer aucun doute sur la paix et la quiétude qu’elles représentent.
Ce sont le fruit d’une tradition ancestrale qu’on retrouve, de manière intéressante, dans les pays slaves et nordiques. Peut-être avez-vous déjà vu ces oiseaux en Russie ? Pour ma part, j’en avais croisé en Finlande. Si on ignore qui a influencé qui, ou même depuis quand on sculpte des colombes dans les alpages du Chablais, ces beaux oiseaux nous rappellent que les Alpes sont aux avant-postes de l’Europe centrale et que même dans les montagnes, les échanges culturels n’étaient pas si rares qu’on ne le pense.
Où les trouver dans leur milieu naturel, ces délicates colombes ? Aujourd’hui, la tradition perdure dans la vallée d’Abondance et le pays de Gavot. J’ignore si nombreux sont ceux à aimer encore sculpter ces oiseaux pour le plaisir, juste pour passer le temps. Jean Bétemps, Marcel Favre-Rochex et Charles Girard-Berthet comptent parmi les dépositaires de cette tradition, et vendent leurs créations minutieuses à Bernex et Abondance. À la Chapelle-d’Abondance, vous trouverez même une grande statue d’une colombe des Alpes juste à côté de l’église.
Balade entre les hameaux de Bénand et Creusaz, à Bernex.
Abondance et Bernex, peut-être les connaissez-vous de nom pour y avoir séjourné en colonie de vacances ou classe de neige ? Ce sont deux villages ravissants, nichés dans le Chablais. On y trouve des églises à clocher à bulbe et d’immenses chalets vieux de plusieurs siècles. À Bernex, ne manquez pas la désalpe, traditionnelle descente des alpages lors de la Saint-Michel, le dernier samedi de septembre. Vous y trouverez une ambiance authentique, au son des sonnailles. Quant à Abondance, c’est une adorable station de ski du domaine des Portes du Soleil. Peut-être connaissez-vous son délicieux fromage, l’abondance ? Si non, je vous invite à aller immédiatement chez un bon fromager pour le découvrir. Toute la vallée est un enchantement été comme hiver, et je vous invite à la découvrir.
Tout au bout de la vallée d’Abondance : le sentier vers le lac Vert, au départ de Châtel
La prochaine fois que vous viendrez en Haute-Savoie, dans les douces Préalpes, oubliez les objets made in China et autres babioles en plastique, et adoptez l’un de ces charmants oiseaux du bonheur, dont la tradition ne tient désormais plus qu’à un fil.
Infos pratiques
- office de tourisme de Bernex, 20 Chemin Rural dit de la Fruitière, 74500 Bernex
- office du tourisme d’Abondance, Chef lieu – 74360 Abondance, pour les colombes de Marcel Favre-Rochex
- Les Colombes d’Abondance, chez Charles Girard-Berthet à Abondance (voir le plan sur son site)
Pour aller plus loin
- une étude en profondeur sur la colombe de la vallée d’Abondance et du pays de Gavot, de Laurence Mikander et Ariella Rothberg. Une lecture passionnante ! Pour cette chronique, je me suis servie de mes propres connaissances des colombes, objet local que j’avais eu la chance de découvrir plus en profondeur en interviewant Jean Bétemps, créateur local, pour le Dauphiné Libéré il y a longtemps. Cette étude m’a rafraîchi les souvenirs !
Une belle découverte avec cet artisanat alpin ! Rien qu’en regardant ces colombes, on peut imaginer le travail et le savoir-faire nécessaires pour les réaliser.
Et puis les Alpes quoi <3
Tu résumes bien : les Alpes <3 C'est mon coin de paradis. Je n'ai pas pu trouver le nombre d'heures nécessaires à la fabrication d'une colombe, mais il doit être faramineux.
Je connais la région pour y être allée énormément de fois en vacances d’été (surtout à Champagny) mais je ne connaissais pas ces colombes d’Abondance, je ne connais que le fromage ! 😀 C’est un travail minutieux, c’est impressionnant !
Si tu connais le fromage Abondance, tu connais l’âme de la région !! Je suis toujours impressionnée du nombre de personnes qui sont passées dans nos montagnes. Tu dois aimer la montagne en été… un bon choix de vacances 😉
Oui j’adore la montagne l’été, j’adore la randonnée ! 😀
Cet article ne pouvait pas mieux tomber puisque je pars pour Bernex samedi !!! 🙂 Je vais aller voir si je trouve des colombes!
Je suis sûre que l’OT de Bernex se fera un plaisir de te conseiller 🙂 Si tu es dans les parages, n’hésite pas à aller au restaurant La relais de la Chevrette pour manger des spécialités !
Ils sont beaux ces oiseaux ! C’est une belle tradition, merci de nous la faire découvrir. Beaux paysages aussi par chez toi, je connais d’autres coins des Alpes, mais pas celui-là (par contre l’Abondance, miam !).
L’abondance est plus connu que ce que j’imaginais ! Je t’invite à venir le goûter dans notre région lors de prochaines vacances 🙂
Qu’est-ce qu’elles sont jolies ces colombes. Je n’en ai pourtant jamais eu à la maison bien que nous habitions en Savoie. Les photo me donnent envie d’être de nouveau en fin d’été pour de longues promenades à travers les alpages !
Qu’ils sont beaux, nos alpages ! La vue de ces colombes m’inspirent le son des cloches et le petit vent frais de la pelouse alpine…
Je ne connaissais pas cette belle tradition ! Qu’est ce que j’aime nos Alpes…
Contente de t’avoir fait découvrir cette tradition de mes vallées. Comme il me tarde de les revoir ! Plus que deux mois…
Quelle étonnante et magnifique découverte ! Je ne connaissais pas du tout et j’espère que cette tradition perdurera ! C’est vraiment de l’art ! Un grand merci à toi pour cette très belle interprétation du thème !
J’espère aussi de tout coeur que les colombes des Alpes perdureront encore longtemps !